Incontournable pour approfondir l’anatomie fasciale et rencontrer les meilleurs spécialistes du système fascial, la Winter School 2025 s’est tenue du 17 au 21 février à Padoue.
Les séances de dissection, qui se sont déroulées sous la direction de la professeure Carla Stecco avec plusieurs autres anatomistes dont le Pr De Caro, Alan Detton, John Sharkey et Antonio Stecco, ont permis une fois de plus de découvrir la réalité anatomique complexe du système fascial. Ils nous ont montré l’architecture de l’enveloppe corporelle dont les fasciae superficiels, profonds, aponévrotiques et épimysiaux constituent le soutien mécanosensoriel de l’appareil locomoteur. Ils nous ont également dévoilé l’organisation des fasciae viscéraux qui façonnent les divers organes et les s’arriment à l’enveloppe corporelle. Chaque session, qu’elle soit consacrée aux membres supérieurs ou inférieurs, au dos, au thorax et l’abdomen avec leurs organes respectifs ou au périné, a démontré l’extraordinaire diversité anatomique et l’adaptabilité des structures fasciales. Tout en illustrant la continuité indubitable du système fascial qui réunit en un même organe l’ensemble de ses structures jusqu’ici décrites isolément.
Cette constatation, à laquelle s’ajoute la multiplicité des nomenclatures en anatomie, est à l’origine d’un thème particulièrement mis en exergue cette année par la Pr Carla Stecco : la difficulté d’établir une classification commune à l’ensemble des chercheurs basée des consensus solides pour construire des cadres de recherches opposables. En effet, il s’avère essentiel de pouvoir distinguer les différentes structures fasciales, dont certaines ont plusieurs appellations identiques ou dont les dénominations des structures présentent des réalités anatomiques confuses, comme par exemple les ligaments qui sont parfois des condensations fasciales rétinaculaires, des nerfs ou des vaisseaux…
Un autre enjeu de ce chantier de construction anatomique autour du système fascia, et non le moindre, consistera à classifier, distinguer, nommer précisément chaque structure tout en conservant à l’esprit qu’elle n’est nécessaire que pour la bonne compréhension et l’interprétation verbale des chercheurs entre eux alors que la réalité ne montre qu’une omniprésente continuité !

Nous invitons chacun d’entre vous à participer à ce projet de classification en répondant au questionnaire initié par l’anatomiste Alan Detton : « Fascia Definition and Classification Project ».
Par ailleurs, chaque matinée et après midi ont débuté par les présentations scientifiques des différents chercheurs invités.
– Le professeur De Caro, chef de département de Neuroscience de l’université de Padoue, s’est livré à une magistrale leçon d’anatomie fasciale du petit bassin, destinée à préparer la dissection de cette région le lendemain.
– Carmelo Pirri 1, 2, 3, 4, 5 , chercheur au sein du département de neuroscience de Padoue, nous a présenté ses travaux sur diverses utilisations de l’échographie pour l’identification et l’évaluation des propriétés des différentes structures fasciales.
– Lorenza Bonaldi et son équipe du laboratoire de biomécanique ont proposé l’utilisation d’un traitement automatisé des signaux ultrasonores permettant de procéder à l’analyse des glissements des différentes couches fasciales : superficielles, profondes et sous jacentes, musculaires.
– Caterina Fede 1, 2, 3, 4, 5 , histologiste au département de neuroscience de Padoue, nous a présenté une étude sur les altérations fasciales spécifiques en cas de Lipoedème.
– Larissa Sinhorim 1, 2, 3,, chercheuse à l’université de Southern Santa Catarina à Palhoça au Brésil, nous a exposé ses travaux sur les récepteurs endocannabinoïdes fasciaux et l’intérêt d’une technique fasciale pour leur stimulation antalgique.
– Peter Friedl, chercheur en imagerie microscopique de la cellule au RIMLS au sein du centre médical de l’université Radboud de Nimègue, s’intéresse à la diffusion au sein des espaces interstitiels in vivo. Ses travaux étudient notamment les remaniements de la Matrice Extra-Cellulaire (MEC), dans les processus cancereux. Utilisant des techniques microscopiques de Génération de Seconde Harmonique (GSH) et de Troisième Harmonique (GTH), il met en évidence la migration cellulaire, notamment des cellules cancéreuses, et leur mécanosensibilité à l’environnement matriciel. Il démontre que les espaces interstitiels liquidiens constituent des voies de communications et de transports dans les tissus sains ainsi que des interfaces de glissement pour faciliter la déformation tissulaire lors des mouvements. Contrairement aux théories dominantes sur le cancer, il apparait que les cellules cancéreuses ne modifient pas la structure matricielle, notamment à l’aide de métalloprotéases matricielles, mais que leur prolifération rapide engorgent les espaces matriciels. En conséquence, elle provoquerait l’asphyxie des cellules saines et une augmentation de la friction fasciale cause à terme de la douleur et de l’oedème des tissus ainsi infiltrés.
– Mary Barbe 1, 2, 3 nous a proposé une approche nouvelle de l’utilisation de la pharmacopée destinée aux maladies inflammatoires tels que les troubles musculo-squelettiques liés aux surmenages physiques du travail répétitif ou de la maladie de Dupuytren. Avec une équipe de chirurgiens orthopédistes, elle a établit un nouveau cadre conceptuel fondé sur le système fascial et ses interactions biologiques afin de répondre aux altérations fonctionnelles et structurelles observées dans ces pathologies.
– Robert Schleip a fait un tour d’horizon des connaissances émergentes du rôle central du système fascial comme médiateur dynamique entre le système nerveux central, les émotions et la régulation immunitaire. Rappelant les liens très étroits dans le stress, l’immunité et les systèmes nerveux et hormonaux, il a évoqué un certain nombre de pistes montrant l’implication du système fascial comme support physique et mécanique de transmission des messages électrochimiques mais également comme cible finale dans le cas de certaines pathologies (comme par exemple l’épaule gelée, les troubles musculo-squelettiques, les algies rachidiennes). Il a cité un certain nombre d’études montrant des relations entre les propriétés mécaniques fasciales et les caractéristiques psycho-émotionnelles comme le lien entre l’hyperlaxité et la propension à l’anxiété ou l’introversion comme trait prévalent chez les scoliottiques. D’autres travaux montrent des relations entre les troubles circadiens, particulièrement liés à la mélatonine, le métabolisme du collagène, dans la survenue de certaines tendinopathies et la fibrmyalgie. Sur le plan immunitaire, le virus d’Epstein-Barr ou la présence de certains anticorps spécifiques seraient impliqués dans le déclenchement et l’évolution de certaines pathologies comme l’hépatite, les scléroses multiples, les inflammations intestinales, les cancers gastriques et nasopharyngés ou la fibromyalgie.
Dans le domaine du comportement social, plusieurs études récentes insistent sur l’importance de la perception sécurisée de l’environnement et de s’accorder des moments de repos quotidiens « sécurisés » pour notre équilibre cardio-vasculaire. A noter également, la découverte d’une nouvelle structure du tronc cérébral, le nucleus tractus solitarius, qui serait influencée par des stimuli vagaux et impliquée dans la réponse inflammatoire du corps.
– Pour finir, trois chercheurs étudiants du département de neuroscience nous ont exposé leurs travaux :
– Xiaoxiao Zhao sur l’impact d’un accident vasculaire cérébral (AVC) sur la MEC du membre inférieur montrant une augmentation systémique de l’Acide Hyaluronique (AH) mais pas sur le collagène. Cette augmentation pourrait altérer la mécanique tissulaire et exacerber la spasticité musculaire post-AVC. Plus importante que ce qui est admis généralement, cette altération systémique de l’AH devrait être mieux prise en compte dans les traitements des patients ayant subi un AVC.
– Tina Wang pour son étude sur les modifications des propriétés de glissement du tractus ilio-tibial en cas d’hyperlaxité liée à un syndrôme d’Ehlers-Danlos.
– Yunfeng Sun pour ses travaux sur la quantification et la distribution des fuseaux neuro-musculaires chez les mammifère en général et les humains en particulier. L’objectif est de comprendre plus précisement leur rôle spécifique dans le contrôle du mouvement au sein du système fascial et éventuellement en déduire des approches thérapeutiques ciblées.
Parallèlement aux dissections, divers ateliers ont été consacrés à d’autres approches anatomiques et expérimentales du système fascial comme la plastination, l’échographie, l’histologie ou la visite de l’institut vétérinaire.

Cette Winter School 2025 fut intense et dense aussi bien sur le plan scientifique que par les rencontres et les échanges avec l’ensemble des participants. Carla Stecco a conclu la semaine en rappelant la grande diversité des domaines concernés par les recherches sur le système fascial que ce soit en anatomie, en biologie, en physiologie, en histologie ou en anatomo-pathologie ainsi que l’importance d’établir et de maintenir des passerelles entre ces disciplines. Elle a rappelé son attachement au format établi de cette semaine consacrée aux communications scientifiques permettant à des chercheurs de cotoyer des praticiens corporels afin que théories et pratiques s’interpénètrent plutôt que de s’opposer. Le climat d’échanges riches et féconds, toujours apaisés, autour des phénomènes biologiques sous tendus par le système fascial montrent l’importance de ce type d’évènements. Il bénéficie à la recherche qui se confronte ainsi à la réalité, mais également à la pratique qui s’enrichit de la mise en perspective des acquis et des apriori qui guettent le praticien dans sa routine quotidienne.
arrivederci e all’anno prossimo !