L’histoire anatomique des fascias

Il était une fois…

Si l’histoire de l’anatomie vous était contée, les fasciae joueraient l’Arlésienne, omniprésents mais jamais étudiés… Et pourtant, sans ces « membranes » il n’existe pas de tissus, pas d’organes, pas de corps !

Seulement voilà, les anatomistes 1, antiques comme les égyptiens Erasistrate et Hérophile vers 300 av. JC ou le romain Galien au IIème siècle, ou à la renaissance le grand Vésale, auteur du premier livre anatomique 2, pour ne citer que les plus célèbres, ont cherché à montrer les structures anatomiques qu’ils considéraient comme vitales : les os, les muscles, les organes, les vaisseaux … Bien sûr, les auteurs connaissaient l’existence des fasciae et mentionnent la résection de ces enveloppes fines et délicates lors de leur dissection. Mais comme aucune fonction spécifique ne leur avait été attribuée, elles restaient absentes des textes descriptifs ou seulement mentionnées comme tissus d’emballage et de liaison sans relation entre elles.

Portrait d’André Vésale attribué à Jan Van Calcar

Le premier à leur accorder une attention particulière est certainement Bichat dans son « Traité des membranes en général et de diverses membranes en particulier » (1799) où il déplore le manque d’attention accordé aux membranes qui « n’ont point été jusqu’ici un objet de particulier de recherche pour les Anatomistes. Ce genre d’organes, disséminé pour ainsi dire dans tous les autres, concourant à la structure du plus grand nombre, ayant rarement une existence isolée, n’a jamais été isolément examiné par eux. » Sa mort prématurée à l’âge de 31 ans d’une fièvre typhoïde ne lui permis pas de poursuivre son œuvre et à sa suite, malgré quelques auteurs (Scarpa, Testud, Velpeau, Sterzi) a s’y être intéressés, ses travaux sur les membranes restèrent sans suite…

La diversion cellulaire

Avec les progrès de la microscopie à partir du XVIème siècle, l’histologie pris peu à peu le pas sur les études purement anatomiques. Les observations de Hooke qui publie Micrographia qui montre des cellules de plantes dès 1665 et les descriptions des « animalcules » de Van Leeuwenhoek 3 au début du XVIIIème siècle commencent à révéler une réalité invisible à l’oeil nu fascinante. La théorie cellulaire établie en 1839 par Schwann et Schleiden détourne définitivement l’attention des scientifiques des membranes fasciales au second plan, restant des tissus de liaison et de soutien mais dont la fonction biologique n’apparaît pas essentielle. L’étude des membranes resta en suspens, attendant comme la belle au dormant qu’on la réveille pour la sortir des salles de dissections.

Les thérapeutes manuels et les fasciae

Cependant, si les anatomistes boudent les fasciae, les praticiens manuels les touchent, les palpent, les pratiquent depuis toujours. Dès lors qu’ils posent la main sur le corps d’un patient, ils perçoivent une multitude d’informations sur la fluidité, la souplesse, la dynamique ou au contraire les tensions, les raideurs, les restrictions des tissus membraneux sous cutanés qui enveloppent l’organisme. Cette perception pleine de nuances a nourri leur pratique et les a conduit, intuitivement, à construire de multiples théories afin d’en expliquer la nature. Dès la fin du XIXème siècle, c’est A.T. Still, le fondateur de l’ostéopathie, qui accorde pour la première fois un rôle central aux fasciae dans sa pratique et leur confère des propriétés aussi bien mécaniques que biologiques. Plus tard dans les années 80 en France, la fasciathérapie en fait même le support exclusif de sa conception thérapeutique. Bien d’autres pratiques manuelles ou corporelles comme les pratiques de massages les plus diverses, le yoga, la méthode Feldenkrais, même si elles ne nomment pas explicitement les fasciae, les conceptualisent implicitement. Cependant, ces pratiques ne disposant pas de support anatomique, leurs approches restaient empiriques et souffraient pour leur reconnaissance de ne pas pouvoir disposer de preuves expérimentales scientifiques.

La méthode Stecco et le système fascial

C’est en Italie, dans les années 80, que Luigi Stecco commence à élaborer une méthode de manipulation manuelle basée sur les fasciae qu’il observe lors de ses premières dissections sur des animaux. Après 30 années de pratique et d’expérimentation, sa persévérance lui permet d’identifier un réseau fascial doté de propriétés essentielles à la locomotricité. Sa passion sera contagieuse et la première à en être imprégnée sera sa fille Carla qui, devenue chirurgienne orthopédiste, continuera le dessein familial. Au début des années 2000, elle réalise à Padoue et à Paris des dizaines de dissections afin de mettre en évidence les preuves anatomiques de ce système pressenti par son père. Mieux, elle va livrer au monde scientifique une description détaillée de ce réseau parcourant toute la surface de notre corps et composé de deux couches superficielles et profondes ayant des rôles spécifiques à chacun. Ces travaux rassemblés dans son Atlas Fonctionnel du Système Fascial Humain publié en 2014 constitue pour la première fois une base anatomique incontournable pour les thérapeutes manuels en particulier et les praticiens corporels en général.

FR:EIA – Le premier plastinat fascial en 3D au monde

Le système fascial

Avec cet ouvrage, les fasciae ne sont plus seulement des enveloppes disséminées et éparses mais deviennent un réseau complexe dont elle décrit l’organisation systématique de l’enveloppe corporelle. La couche sous cutanée se trouve divisée, par le fascia superficiel, en deux zones, les retinaculum superficiels et profonds. Le fascia superficiel et les deux retinaculum constituent des réserves adipeuses et sont parcourus par les vaisseaux artériels et veineux et les nerfs qui explique sa réactivité neurovégétative aussi bien vasculaire que sensorielle. Mécaniquement, la structure des retinaculum superficiels et profonds permettent le glissement libre de la peau sur le fascia profond. Ce dernier est le véritable organe locomoteur de l’organisme, constituant une sorte de seconde peau mécanique, constitué de deux ou trois couches, selon les régions, qui glissent les unes sur les autres, pour permettre à l’appareil locomoteur humain de pouvoir se déplacer de manière incroyablement fluide dans les trois plans de l’espace. Dans ce réseau fascial profond, les muscles ne sont plus que des effecteurs mécaniques, des inclusions de fibres motrices unidirectionnelles dans un réseau fascial sous cutané, extrêmement architecturé de l’épimysium, au périmysium jusqu’à l’endomysium. Au sein de ce réseau, chacune des couches possède une orientation spécifique répondant à des contraintes unidirectionnelles définies par l’orientation des réseau collagéniques qui les composent. Afin de percevoir le positionnement et réguler le mouvement, une multitude de récepteurs, principalement des terminaisons libres, sont disséminés le long de ces axes fasciaux et constituent la partie sensorielle essentielle à la proprioception.

  1. Byl Simon. Controverses antiques autour de la dissection et de la vivisection. In: Revue belge de philologie et d’histoire, tome 75, fasc. 1, 1997. Antiquite – Oudheid. pp. 113-120.
  2. De humani corporis fabrica libri septem (La structure du corps humain) André Vésale paru en 1543
  3. Haidar, R. (2016). Antoni van Leeuwenhoek.

6 réflexions sur « L’histoire anatomique des fascias »

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