L’IRCEMH (Institut de Recherche Clinique et Expérimentale en Mécanobiologie Humaine)

De la description du système fascial…

Ces dix dernières années, l’anatomie, qui semblait être devenu une discipline immuable, connaît une véritable révolution avec la description du système fascial et les découvertes de ses rôles fonctionnels. A l’origine de ce renouveau, initié au début des années 80, Luigi Stecco, un kinésithérapeute italien qui élabore une pratique de manipulation manuelle basée sur les fasciae. Cherchant à en démontrer la réalité anatomique, il commence ses recherches en réalisant ses premières observations par des dissections chez l’animal. Vingt ans plus tard, c’est sa fille Carla Stecco, devenue chirurgienne et anatomiste, qui va réaliser des centaines de dissections humaines à Padoue et à Paris afin de prolonger l’oeuvre de son père. En 2014, c’est elle qui livre au monde scientifique une première description systématisée de ce réseau parcourant toute la surface de notre corps, confirmant les intuitions paternelles en publiant son Atlas Fonctionnel du Système Fascial Humain. Ces tissus d’enveloppe, jusque-là réséqués sans être ni mentionnés ni nommés dans les descriptions anatomiques étaient « transparents » pour les chercheurs et les étudiants. Procédant à une dissection fine de ces membranes sur des cadavres non embaumés, elle en démontre, pour l’enveloppe corporelle, l’organisation systématique en deux couches sous cutanées qui constituent les fasciae superficiel et profonds, avec des rôles spécifiques à chacun.

Cet atlas constitue dès lors une base anatomique novatrice et incontournable pour les thérapeutes manuels en particulier et les praticiens corporels en général. Mieux, ce réseau myofascial de l’enveloppe corporelle décrit par la Pr Stecco dans son Atlas, pour important qu’il soit pour l’appareil locomoteur, ne constitue qu’une partie du système fascial. Les chercheurs, rassemblés au sein de la Fascia Research Society, ont établi au cours de la dernière décennie une définition et une nomenclature spécifique au système fascial dont les membranes s’avèrent omniprésentes en enveloppant et en s’immisçant autour et au sein de chacun de nos organes. S’ajoutant à ceux de l’enveloppe corporelle, ces fasciae internes se composent de fasciae viscéraux et de fasciae neuraux et ne sauraient tarder à faire l’objet d’une description détaillée. Ainsi la continuité tissulaire, subodorée par A.T. Still et les premiers ostéopathes mais également par les médecines chinoises ou le yoga, se trouverait confirmée par les anatomistes. Cependant, cette anatomie macroscopique n’est pas la seule à connaître un renouveau et les illustrations histologiques de l’Atlas de Carla Stecco montrent bien l’intérêt conjoint des chercheurs pour l’échelle microscopique. 

… à ses implications mécanobiologiques

A partir des années 1980, les progrès de la microscopie bouscule la conception générique des tissus conjonctifs qui évolue dès lors vers un nouveau concept, la Matrice Extracellulaire (MEC). Regroupant l’ensemble des structures conjonctives non-cellulaires dont les différents constituants sont sécrétés par les cellules mésenchymateuses, la nomenclature tissulaire distinguant spécifiquement les tissus conjonctifs apparaît désuette. Si les tissus épithéliaux, nerveux et musculaires apparaissent toujours correspondre à une réalité observable, la désignation simpliste des tissus conjonctifs fait apparaître un kaléidoscope extrêmement diversifié où la notion de tissus conjonctifs laisse place à une MEC polymorphe. Répondant aux contraintes fonctionnelles de chacune des structures corporelles dont elle construit l’architecture, elle fournit aux cellules une enceinte protectrice tout en leur permettant de se véhiculer dans l’environnement.

D’un point de vue dynamique, depuis la découverte en 1973 de la fibronectine et de son rôle d’adhésion et de modulation des interactions cellules/MEC via les intégrines, les structures matricielles ne peuvent plus être considérées seulement comme un échafaudage passif. L’attachement des cellules à ce support se révèle nécessaire à leur survie, à leur prolifération, à leur différenciation et à leur motilité et sa régulation est réalisée par un grand nombre de processus qui impliquent l’activation de mécanismes aussi bien matriciel qu’intra-cellulaire. La compréhension des interactions cellules-matrice fait apparaitre que si les cellules réalisent la synthèse des constituants de la MEC, les modifications de cette dernière déclenchent des adaptations cellulaires affectant ainsi leur détermination phénotypique. Surtout, alors que pendant longtemps, seules les interactions biochimiques de ces mécanismes n’avaient fait l’objet de l’attention des chercheurs, la prise en compte des forces mécaniques, qui a fait irruption en biologie ces vingt dernières années, a profondément modifié notre vision de la MEC. Ainsi, c’est toute la conception du microenvironnement qui se trouve chamboulée avec cette nouvelle approche définitivement mécanobiologique.

Vers un nouveau système de communication, mécanique !

L’ensemble de ces travaux interrogent les chercheurs qui travaillent à établir un nouveau cadre mécanobiologique pour les cellules, écho microscopique de la biomécanique des tissus. De nombreuses approches ont essayé de transposer ces nouvelles connaissances moléculaires et cellulaires en proposant des modèles tissulaires (tenségrité, modèle sol-gel, modèle de rhéologie vitreuse douce…) intégrant les forces. Cependant, la version la plus aboutie semble être celle défendue par le Pr Neil Theise synthétisant dans une même approche aussi bien la mécanobiologie, les nouvelles conceptions anatomiques mais également les interactions multi échelles : la théorie de l’interstitium. Cette conception matricielle considère les tissus fasciaux comme le support membraneux antigravitaire abritant et endiguant la MEC liquidienne, véritable mer intérieure de nos cellules. Il y distingue des espaces de circulation interstitielle constituant l’interstitium à proprement parler. Laissant apparaitre une construction des corps complexes organisée autour de deux niveaux d’organisation distincts et complémentaires :

  • Microscopique, mettant en interaction les cellules avec leur environnement matriciel, résolument mécanobiologique
  • Macroscopique, mettant en interaction le système nerveux et les espaces cellulaires circonscrits par les fasciae en organes (muscles compris comme tels)

Cette perspective fait apparaitre très clairement une structure corporelle mécanobiologique constituée des matrices membraneuses et liquidiennes abritant les cellules et leur permettant de construire des organismes complexes extrêmement élaborés. Le même type d’organisation que l’on observe chez les plantes. Au fur et à mesure de l’évolution animale, un système neuro-musculaire s’est immiscé au sein de ces structures matricielles afin de permettre le déplacement de ces corps dans leur environnement à la recherche du milieu le plus propice à leurs besoins en ressources. Cette conception amène à deux constatations essentielles :

  • Les niveaux microscopiques, mécanobiologiques, et macroscopiques, neuro-musculaires, sont interdépendants mais fonctionnent chacun à leur échelle et selon des modes différents.
  • Si les modes de communications biologiques, hormonaux, et neurologiques sont actuellement bien identifiés avec leurs structures propres et leurs interactions spécifiques et interdépendantes, il n’en va pas de même pour les voies de communications mécaniques. Pour implicites qu’elles soient à la lumière de l’avancée des connaissances actuelles, elles ne bénéficient pas d’une définition clairement établie et d’un enseignement au même titre que les systèmes hormonaux et nerveux.

Deux modes de mécanoperception : la mécanosensibilité cellulaire et la mécanoréception neurologique

Il n’est de ce fait pas étonnant de constater que les modèles actuels de régulation corporelle, s’ils intègrent les contraintes mécaniques, ne les envisagent que transmis par le système nerveux. Il en résulte des modèles discrets entre des éléments anatomiques bien définis (système nerveux, articulations, tendons, muscles et éventuellement fasciae).

Modèle neuro-musculo-articulaire classique intégrant ou non le système fascial

Nous proposons d’établir un nouveau modèle neuro-mécano-biologique pour lequel le système fascial se situe à l’interface entre les niveaux d’organisation micro et macroscopique :

  • Au niveau microscopique, les cellules forment avec la MEC un vaste complexe continu mécanosensitif qui participe à la croissance de l’organisme et en ajuste en permanence les propriétés matricielles aussi bien liquidiennes (résistance à la compression, perfusion) que membraneuses (Densification/résorptions, réorientation, réorganisation des travées collagéniques et des autres composantes). La majeure partie de ces structures matricielles, celles qui connectent les structures anatomiques entre elles, constituent le système fascial.
  • Au niveau macroscopiques, un réseau discret de neurones sensitifs afférents relaient les stimuli produits par les mécanorécepteurs disséminés au sein de l’ensemble du système fascial et des éléments anatomiques qu’il inclut (articulation, os). Ils apportent au système nerveux central (SNC) les informations nécessaires à la régulation du recrutement contractile des fibres musculaires propre à l’activité locomotrice.
Relations potentielles de régulation entre la mise en charge mécanique, les hormones sexuelles et les éléments neuronaux dans la régulation de l’os. Les trois panneaux (A – B – C) représentent des exemples de telles relations où la taille du cercle et le chevauchement entre les cercles indiquent une variation de l’influence régulatrice, ainsi qu’une intégration potentielle. Ces relations peuvent varier d’un sexe à l’autre, au sein d’un même sexe (en particulier chez les femmes et peut-être en raison de l’hétérogénéité génétique chez l’homme) et à différents moments du cycle de vie, de sorte qu’il n’existe peut-être pas un seul ensemble de relations pour les os dans différents environnements et lieux.
Hart DA. Regulation of bone by mechanical loading, sex hormones, and nerves: Integration of such regulatory complexity and implications for bone loss during space flight and post-menopausal osteoporosis. Biomolecules [Internet]. 2023;13(7).

Les contraintes mécaniques, qu’elles soient liées au mouvement ou simplement du fait de la gravité qui s’exerce sur les corps, participent ainsi à deux processus distincts mais interdépendants : la formation et la création de la MEC qui forme un abri pour les cellules et l’animation locomotrice de celle-ci dans l’espace de l’environnement afin de déplacer le corps dans l’espace. Deux exemples pour illustrer cette dualité.

Un premier exemple pourrait être celui d’une activité de saut à la corde quotidienne de quelques minutes. Lors de cette pratique, alors que le système nerveux pilote l’appareil locomoteur, chaque appui au sol propage une onde mécanique au sein de toute la matrice. Cette onde est perçue par les mécanorécepteurs qui lui permet d’ajuster le mouvement et le rendre plus précis et plus économe en énergie. Elle est également détectée par ll’ensemble de nos cellules, et principalement par nos fibroblastes, nos cellules constructrices de la MEC qui vont y répondre en densifiant notre structure matricielle afin de l’adapter à cette pratique. L’effet de renforcement matriciel au niveau microscopique est associé à une optimisation de l’activité locomotrice par le système nerveux central. Les deux se cumulant pour rendre le corps plus fort physiquement et plus adapté à une activité.

Un second exemple concerne les courbatures qui apparaissent lorsque nous pratiquons une activité physique nouvelle et très contraignante physiquement. Notre système neuro-musculaire commande une action pour laquelle notre complexe cellulo-matriciel va subir des dégradations, générant des micro-lésions produisant un oedème cicatriciel. Perçu par notre système neuro-sensoriel comme douloureuse, nous modérons notre activité physique le temps de la cicatrisation matricielle : celle-ci ne se reconstruit d’ailleurs pas à l’identique mais plus dense afin de résister à l’avenir si un tel effort doit se reproduire. On perçoit nettement le rôle de la matrice protectrice et du système fascial enveloppant les fibres musculaires et celui du système nerveux produisant et modérant l’activité de l’organisme pour éviter l’apparition de lésions le temps de la cicatrisation. C’est très exactement cet effet de renforcement qui sera recherché par les sportifs lors de leur entrainement.

L’IRCEMH, dédiée à la définition et à la recherche sur l’action des forces au sein du vivant

A partir de ces constats, l’IRCEMH se donne pour objectif d’oeuvrer à la définition d’un tel système en fédérant les chercheurs et praticiens confrontés dans leurs exercices aux interactions des forces mécaniques au sein du vivant. En créant un espace de dialogue entre les acteurs des sciences biologiques et les praticiens, elle visera à relayer les travaux de recherche les plus récents sur les interactions mécaniques cellules/MEC et leurs implications tissulaires et corporelles afin de les divulguer auprès des professionnels de la santé, spécialistes des thérapies corporelles manuelles, chorégraphiques, réadaptatives etc…

Cependant, ses échanges ne s’entendent pas de manière unidirectionnelle des théoriciens vers les praticiens mais doivent donner lieu à un retour sur expérience pour les chercheurs afin de les confronter aux réalités « naturelles » que les modèles ne sauraient parfaitement circonscrire. En facilitant le dialogue entre ces deux univers trop souvent étanches l’un à l’autre, elle devrait permettre d’impulser des directions propres aux professions “du corps” et d’initier des travaux de recherche originaux afin de mieux appréhender les interactions complexes et subtiles entre les cellules et leur micro-environnement.

Par ailleurs, si la mécanobiologie se concentre sur l’échelle nano et microscopique, l’interaction cellules/MEC constituant l’échelon de base du vivant, elle conditionne et détermine nombre de propriétés des tissus et organes et les interactions de ces derniers au sein du système fascial. Elle concerne ainsi l’ensemble des régulations physiologiques au sein de l’organisme mais également ses interactions avec l’environnement, tout particulièrement avec la gravité. De ce point de vue, les éthologues, qui étudient les fondements biologiques des comportements, et les anthropologues constituent également des chercheurs appelés à rejoindre l’IRCEMH.

Pratiquement pour les professionnels du corps, l’objectif sera d’éclairer les mécanismes du vivant à l’oeuvre dans les signes cliniques et les symptomatologies que décrivent élèves et patients afin d’établir des corrélations systémiques apportant du sens à leurs discours. Tout en cherchant à rester cohérent avec les connaissances scientifiques les plus récentes. L’IRCEMH s’engage ainsi à oeuvrer à éclairer les ténèbres qui entourent encore bien souvent notre relation à notre corps et à celui des autres. En adhérant, les nouveaux membres s’engageront dans une quête qui, à l’instar de notre corps entend s’adresser aussi bien à notre intellect scientifique, à notre ressenti neuro-sensoriel proprioceptif qu’à notre nature biologique matricielle. Chacun d’entre nous aura à coeur de découvrir et fluidifier les rigidités fasciales tout comme les « raideurs » psychiques : ces dernières étant bien souvent la source de notre entêtement et notre difficulté à vaincre les difficultés. Notre approche résolument multidisciplinaire constitue à ce titre un antidote qui devrait s’avérer porteur de découvertes nombreuses et inattendues…

Pour nous joindre ou nous rejoindre, vous pouvez nous contacter à cette adresse : ircemh@gmail.com