Interstitium et système fascial, de la mécanobiologie du foie à un modèle dynamique rythmique

Auteurs
Christophe Chiquet 1,2,3,4, Nathaly Gaudreault 5,6, Caterina Fede 7, Carla Stecco 7

1 Ostéopathe, Paris, France
2 Kinésithérapeute DE, MSc, DEA de Génie Biologique et Médical, option Biomécanique
3 Attaché à la consultation d’occlusodontie de l’hôpital Saint Antoine, Paris, France
4 Président de l’IRCEMH (Institut de Recherche Clinique et Expérimentale en Mécanobiologie Humaine)
5 École de réadaptation, Faculté de médecine et des sciences de la santé, Université de Sherbrooke, Canada
6 Chercheuse, Centre de recherche du centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS).
7 Department of Neurosciences, Institute of Human Anatomy, University of Padova, Padova, Italy

Article publié initialement en juillet 2023 dans la Revue de l’ostéopathie

L’utilisation des technologies numériques dans les outils d’investigation biologiques à partir des années 1980 a ou- vert des perspectives nouvelles en révélant une complexité du vivant jusque-là ignorée. La microscopie est indéniablement la technologie au centre de ces progrès permettant un changement de focale d’un univers micrométrique vers un environnement nanométrique. Cependant, ce kaléidoscope d’images présentant des vues très détaillées mais fragmentées ne pouvait suffire à faire émerger une compréhension globale des phénomènes observés. Ainsi, c’est plus certainement la collaboration de domaines scientifiques aussi divers que la physique et l’étude des matériaux, la chimie, la biologie, la médecine et les sciences de la santé, la psychologie, la sociologie ou la climatologie qui, en reliant entre elles les masses d’informations collectées par leurs nouveaux outils numériques, a contribué à faire émerger un nouveau cadre théorique avec la théorie de la complexité. L’un de ses initiateurs, Edgar Morin définit la complexité comme un tissu (complexus : ce qui est tissé ensemble) de constituants hétérogènes inséparablement associés qui pose le paradoxe de l’un et du multiple [1]. Il affirme [2] qu’« il faut échapper au réductionnisme, car nous ne pouvons comprendre un tout à partir de ses éléments de base, car le tout est plus que la somme des parties », et ajoute que « dans différents domaines scientifiques, nous parlons d’émergence. L’émergence signifie qu’un tout organisé produit des qualités et des propriétés qui n’existent pas dans les parties isolées. Le même tout organisé peut inhiber des qualités ou des propriétés qui existent dans les parties. »

La complexité fait apparaitre ces phénomènes émergents en réintroduisant les contextes négligés par le réductionnisme. Ainsi, loin de se limiter au seul passage d’une biologie cellulaire micrométrique à une approche moléculaire nanométrique, la complexité a jeté des ponts entre les niveaux d’organisation avec des approches multi-échelles [3] et produit des collaborations interdisciplinaires extrêmement fécondes.

Aussi, lorsque l’observation de ce nanomonde laisse entrevoir les structures les plus infimes des différentes organelles intra-cellulaires et leurs interactions réciproques, elle révèle également une multiplicité de composantes extracellulaires et ce micro-environnement que les cellules sécrètent pour interagir et composer les corps des organismes complexes : la Matrice Extra-Cellulaire (MEC) [4]. Fournissant aux cellules un support pour s’arrimer, s’agréger mais aussi se mouvoir et communiquer entre elles [5,6], la MEC forme des réseaux supramoléculaires complexes aménageant des espaces liquidiens propices aux échanges nutritifs et à l’élimination des déchets. L’ensemble de ces structures matricielles membraneuses, composées principalement de collagènes et d’élastine, dont le système fascial en est une des émanations [7], constituent un véritable continuum interconnectant les différentes structures anatomiques au sein de l’enceinte corporelle et permettant aux colonies cellulaires qu’elles transportent d’interagir avec leur environnement biologique et social. Ces dernières années, l’utilisation de l’endomicroscopie confocale laser a permis à Benias [8], Cenaj [9] et leurs co-auteurs de mettre en évidence la réalité anatomique et dynamique des espaces liquidiens interstitiels, endigués par ce réseau membraneux. Représentant un tiers de l’eau composant 70 % du corps, cette MEC interstitielle serait le siège des échanges entre les cellules et les systèmes circulants canalisés que sont les vaisseaux sanguins et lymphatiques tout en assumant un rôle mécanique pour amortir les contraintes en compression. Elle se trouverait également très impliquée aussi bien dans la signalisation essentielle au développement et à la migration des cellules que dans les réponses de défense à l’environnement de l’immunité innée ou de l’interaction avec le microbiote [10]. Dès lors, notre regard sur notre environnement biologique vacille, déplaçant le centre de gravité de la recherche en biologie jusque-là axé sur le cœur des cellules et leur noyau, sanctuaire génétique, pour s’at- tacher à découvrir leurs interactions avec le milieu interstitiel. Cette nouvelle approche biologique remettrait en cause le paradigme cellulaire pour une conception théorique plus complexe de l’interstitium théorisée par Theise dès 2005 [11]. Pour celui-ci, l’interstitium serait un espace extracellulaire dynamique et métaboliquement actif contenant du fluide interstitiel, des cellules et des éléments matriciels tels que des fibres de collagène et d’élastine et des glycosaminoglycanes. Il constituerait un organe à part entière remplissant des fonctions importantes telles que la régulation du pH, la circulation des fluides corporels et la transmission des signaux mécaniques.

La prise en compte des forces mécaniques en biologie a été l’une des avancées les plus déterminantes [12-15] permise par les nouvelles technologies numériques ces trente dernières années. Dénommée mécanobiologie à partir de la fin des années 90, cette nouvelle discipline biologique a fait émerger des outils et des méthodes propices à montrer l’influence des forces au sein du vivant. Bouleversant la vision réductrice d’une biologie cantonnée aux interactions chimiques, l’intégration des contraintes mécaniques [16,17] dans la modélisation des processus du vivant et de ses constructions architecturales (cellulaires, matricielles, tissulaires et corporelles) s’est imposé au fur et à mesure que la microscopie a permis d’identifier les nombreuses composantes cellulaires et matricielles et leurs interactions mutuelles. Au niveau moléculaire, la mécanobiologie est étroitement liée aux interactions entre les protéines et l’eau. Cette dernière, constituant majeur de l’organisme aussi bien intra qu’extra cellulaire, possède des propriétés physico-chimiques [18,19] essentielles aux processus mécaniques en raison de son interaction avec les protéines dont elle détermine la structure spatiale, permettant notamment leur repliement. Sa quantité et sa distribution dans les tissus peuvent affecter leur réponse mécanique aux forces extérieures [20]. Au sein de la cellule, le cytosquelette et son réseau protéique réticulaire (filaments d’actine, intermédiaires ou microtubules) qui soutient sa structure, joue un rôle essentiel dans la mécanotransduction, processus actif qui convertit les forces mécaniques en signaux cellulaires électriques et biochimiques, et plus passivement dans la résistance mécanique des cellules et des tissus. L’environnement matriciel [21] est également impliqué dans cette architecture mécanique avec deux types de composantes distinctes membraneuses (lame basale, membranes fasciales) ou aqueuses. Les premières sont composées essentiellement de fibres de collagènes ou d’élastine servant de support matriciel. Dans les milieux aqueux, les composantes structurelles essentielles sont les glycosaminoglycanes (GAG) sulfatées (chondroïtine sulfate, dermatane sulfate, kératane sulfate et héparane sulfate) et l’acide hyaluronique (AH) non sulfaté. Les GAG sulfatés se lient à des tiges protéiques pour former des protéoglycanes (PGs) alors que l’AH se polymérise pour constituer des molécules pouvant atteindre plusieurs millions de daltons. Leurs propriétés électrochimiques leur confèrent la capacité à retenir de grandes quantités d’eau. Cette interaction avec l’eau au sein des tissus est essentielle au maintien de l’hydratation, à leur fonction de tampon, de liaison, de résistance aux forces mécaniques notamment aux propriétés visco-élastiques. Longtemps considérées comme des composantes structurelles passives, les GAG se révèlent activement impliqués dans les processus mécanobiologiques. Des études récentes [22] montrent l’implication des PGs dans la croissance, la régulation de l’inflammation, la modulation de l’adhésion, de la migration, de la prolifération et la signalisation cellulaire. L’AH [23,24] se distingue avec des propriétés de lubrification, de soutien structurel matriciel et par son implication dans la migration cellulaire et la transduction des signaux mécaniques. En raison de leurs différences structurelles et fonctionnelles, les différents PGs sont spécifiques d’une structure anatomique donnée (par exemple : agrécane pour le cartilage, versican pour les tissus conjonctifs et les vaisseaux sanguins, syndécane pour les fibroblastes et les cellules musculaires lisses) alors que l’AH se distingue par son caractère ubiquitaire.

Figure 1.- Illustration schématique de la base moléculaire de la mécanobiologie [32]
Ce schéma montre comment les signaux mécaniques sont transmis au noyau via les intégrines et le complexe d’adhésion focale puis par l’intermédiaire des composants du cytosquelette au nucléosquelette. Les zones en jaune indiquent les trajets de transmission des signaux de mécanotransduction.

Prenant en compte les propriétés physico-chimiques du microenvironnement, un certain nombre de modèles [25] ont essayé de fournir un cadre théorique intégrant les contraintes mécaniques en biologie et reliant les observations nano et microscopiques aux constructions architecturales corporelles. Centré sur les propriétés visco-élastiques des milieux aqueux, le modèle sol-gel repose sur les modifications des propriétés rhéologiques intra-cellulaires en fonction de la longueur ou de la densité des réseaux réticulaires (filaments d’actine, intermédiaires ou microtubules). Le modèle du matériau mou vitreux considère les cellules et les tissus comme des matériaux à la fois mous capables de déformations importantes et vitreux dont le comportement sous contrainte est similaire à celui des verres amorphes. Celui des gels actifs et liens croisés dynamiques décrit les tissus, les cellules ou la MEC comme des gels actifs qui peuvent générer et transmettre des forces grâce à l’activité de leur constituants (filaments d’actine, moteurs moléculaires). Ces gels se trouvent interconnectés par des liens croisés dynamiques qui peuvent se former et se rompre en réponse à des signaux physiques et biochimiques pour leur permettre de maintenir leur structure et leur fonction. Initiée par Ingber [26,27] à partir d’un concept architectural emprunté à Fuller [28], la tenségrité propose un modèle tis- sulaire à l’échelle macroscopique où les structures propres à se stabiliser par un jeu de forces, de traction et de compression, se répartissent et s’équilibrent de manière dynamique afin de conserver leur intégrité. Plus récemment, un certain nombre de publications [29-31] accordent un rôle essentiel à l’acide hyaluronique en raison de son omniprésence et de ses propriétés singulières. Cependant, si chacun de ces modèles apporte des réponses dans des situations particulières, aucun ne fournit un cadre théorique mécanobiologique global et complet.

Ces dernières années, alors que les modèles précédents envisageaient les composantes cellulaires et matricielles comme des éléments dotés de comportements mécaniques passifs, l’axe des recherches s’est déplacé vers la capacité spécifique des cellules à détecter et à réagir aux forces mécaniques : la mécanosensibilité [15,32,33] (figure 1). Cette capacité des cellules à percevoir leur environnement implique un certain nombre de protéines membranaires (intégrines, cadhérines, jonctions cellulaires et autres protéines membranaires mécanosensibles) reliant les cellules entre elles ou à l’environnement matriciel, impliquant les PGs et de l’AH [22-24] dans leurs fonctions de signalisation. L’ensemble de ces signaux mécaniques perçus par les cellules vont déclencher des réponses cellulaires adaptatives aussi bien électro-chimiques que mécaniques capables de modifier leur comportement, leur relation à l’environnement ou la structure de celui-ci. Si toutes les cellules possèdent intrinsèquement cette faculté, les fibroblastes [33,34] constituent des cellules mésothéliales dotées du pouvoir particulier de construire la MEC en en sécrétant la quasi-totalité des composantes. Elles seraient particulièrement impliquées dans la construction, la régulation et la plasticité du système myofascial décrit par Stecco [7]. Cette dernière en proposant une conception systématique de l’organisation fasciale a fourni un nouveau cadre anatomique à ces approches mécanobiologiques. Récemment Pirri et al. [35] ont suggéré le rôle essentiel des fibroblastes dans sa construction et leurs travaux montreraient « que le mouvement modélise les renforts fasciaux, structurant le système fascial, notamment en fin de grossesse ». Les lignes de renforcement fasciales se constitueraient ainsi en réponse aux contraintes mécaniques imprimées par les muscles du fœtus lors de ses mouvements intra-utérin. Stecco rapporterait par ailleurs la découverte d’une variété spécifique de fibroblaste, les fasciacytes, dédié à la sécrétion de l’AH essentiel au maintien des propriétés mécaniques fasciales tout au long de la vie [36].

Afin de répondre à cette effervescence de découvertes bousculant les conceptions classiques, Theise et al. en 2013 [37] ont proposé une nouvelle approche biologique fondée d’une part sur la théorie de la complexité et d’autre part sur la biologie des systèmes. Auparavant, les approches réductionnistes théorisées notamment par Monod avec son ouvrage Le hasard et la nécessité [38], trouvant leur fondement dans le discours de la méthode de Descartes, ont apporté un certain nombre de réponses ponctuelles. Allant de pair avec un certain déterminisme comme le démontrent Sonigo et Kupiek dans Ni dieu, ni gène [39], elles proposent une modélisation de type cybernétique du vivant cohérente pour appréhender des fonctions étudiées isolément, mais apparaissent impuissantes à évaluer et à comprendre de manière complète un système biologique complexe. Pour tenter de répondre à ces problématiques, Theise et al. [37] proposent une nouvelle approche holistique stipulant que, comme les physiciens quantiques, les biologistes doivent considérer que les limitations conceptuelles d’un cadre expérimental nous empêchent de considérer pleinement et simultanément tous les aspects d’un phénomène quantifié observé. Ils considèrent que la théorie de la complexité, se fondant sur la nature auto-organisée des entités vivantes observées aux propriétés stochastiques non linéaires, doit de ce fait définitivement prendre en compte la position de l’observateur, limitant ainsi la description et les résultats expérimentaux obtenus. En affectant de manière inéluctable les interactions entre l’observateur et le phénomène observé, leur séparation ne peut être qu’une frontière théorique dont la réalité est impossible à discerner. La complémentarité, naissant de points d’observation différents dans l’observation d’un même phénomène, devient ainsi intrinsèque à l’étude des systèmes biologiques. Theise et Kafatos [37] en tirent les conséquences en affirmant : »La complémentarité dans la vie indiquerait qu’aucune technique ou perspective unique ne permet d’avoir une vue d’ensemble de toutes les qualités et de tous les comportements d’une entité biologique ; au contraire, des perspectives complémentaires, qui excluent nécessairement et irrévocablement toutes les autres au moment où une approche expérimentale est choisie, sont nécessaires pour comprendre l’ensemble. »

L’une des conséquences immédiate et évidente de cette conception est la nécessaire mise en contexte du système étudié. Ainsi, étudier le comportement d’une molécule d’actine unique pour en tirer un comportement déterminé est vain, mais établir une tendance générale majoritaire de l’action des filaments d’actine au sein du cytosquelette d’une cellule peut être envisagé. De même, l’étude de cellules isolées dans un micro-environnement artificiel ne peut certainement plus servir de modèle définitif pour la théorie du vivant et doit s’ouvrir sur une prise en compte de leurs interactions dans leur environnement matriciel définissant un contexte fonctionnel donné.

Ces dernières années, il semble que ce soit dans cette dynamique que s’inscrivent les travaux de l’équipe de Theise [8,9,11,37] afin d’apporter des preuves expérimentales à ces conceptions théoriques de l’interstitium. S’inspirant des premiers travaux de Mall au tout début du XXe siècle et tombés dans l’oubli [40], son équipe a cherché à démontrer la réalité anatomique et la dynamique de la circulation interstitielle [8,9]. Ils ont observé des canaux non vasculaires délimités par des structures matricielles membraneuses au sein desquels des flux liquidiens baigneraient les cellules.

En 2020, afin d’explorer les interactions mécanobiologiques entre les cellules et leur environnement interstitiel, Chin et al. [41] au sein de l’équipe de Theise ont cherché à explorer certains processus physiopathologiques du foie. Ils ont étudié les modifications du comportement des cellules hépatiques, les hépatocytes, lorsqu’ils stockent de grosses gouttelettes lipidiques. En raison d’une alimentation trop calorique, ce processus de stockage est au cœur du syndrome métabolique [42,43], véritable épidémie mondiale [44], dont la stéatopathie non alcoolique (NAFLD – Non Alcoholic Fatty Liver Disease) est la première étape qui peut conduire à plus ou moins long terme à une stéatohépatite non alcoolique (NASH), une cirrhose ou à un carcinome hépatocellulaire (CHC). Les chiffres de l’OMS sont éloquents et font état de 1,5 milliards de personnes atteintes de maladies chroniques dont 60 % en raison d’une NAFLD qui, si elle touche primairement le foie et peut générer une atteinte hépatique grave, pourra conduire à différentes manifestations cliniques comme l’obésité, l’hypertension, l’hypercholestérolémie, des atteintes cardio-vasculaires, un diabète de type 2, ou une insulinorésistance. L’étude de cohorte de l’INSERM « Constances » [45] se basant sur l’enquête épidémiologique nationale ObÉpi-Roche réalisée en 2012 chiffrait sa prévalence à 16 % de la population adulte du pays. En 2020, un autre recensement réalisé par La ligue contre l’obésité [46] porte à 17 % de la population française le nombre de personnes souffrant d’obésité, soit 8 567 128 d’individus, et même à 2,0 % le nombre d’individus en obésité massive soit plus d’un million de personnes. S’intéressant à l’évolution pathologique du foie lui-même, Chin et al. se sont intéressés aux transformations parenchymateuses conduisant les tissus à la fibrose matricielle. Leurs travaux se fondent sur de précédentes études [47,48] ayant démontré que la modification des propriétés mécaniques tissulaires matricielles se trouve associée aux altérations structurelles conduisant à la fibrose, caractéristique de nombreuses pathologies hépatiques et peut constituer un facteur favorisant des processus pathologiques de nombreuses maladies dont le cancer [49]. C’est notamment le cas du carcinome hépato-cellulaire (CHC) qui survient dans 80 à 90 % des cas dans un contexte de foie cirrhotique fibrosé, la raideur hépatique élevée se trouvant très corrélée au risque élevé de CHC.

De ce fait, depuis une vingtaine d’années, l’altération des propriétés mécaniques du foie fait l’objet de l’attention des spécialistes qui utilisent l’élastographie ultrasonore [50,51] pour caractériser l’évolution d’un certain nombre de pathologies qui pourront modifier la raideur hépatique (fibrose, cholestase intra-hépatique, augmentation de la pression veineuse par congestion, augmentation de la pression intra-abdominale).

Des travaux in vitro effectués sur des hépatocytes montrent que l’augmentation de la raideur de la MEC modifie leur expression génétique et leurs fonctions cellulaires de même que leur motilité et leur raideur [52,53]. Partant du fait que le CHC se développe également chez les patients atteints de NAFLD, dont un tiers ont un foie non cirrhotique, sans rigidité tissulaire avérée, les auteurs ont émis l’hypothèse d’une autre voie mécanique responsable du développement de la pathologie. Ils ont ainsi démontré que, conformément à leur hypothèse, de grosses gouttelettes lipidiques stockées dans les hépatocytes de ces foies généreraient des contraintes mécaniques intra-cellulaires. Agissant sur les filaments d’actine du cytosquelette, ces contraintes provoqueraient une augmentation de la localisation nucléaire d’une protéine mécano-effective, la Yes associated protein 1 (YAP1) particulièrement impliquée dans les processus de mécanotransduction qui se mettent en place lors des maladies du foie [54]. Ils ont également observé une diminution de la propagation cellulaire induite par la raideur, et une perturbation des adhérences focales et des fibres de stress (figure 2). Ces gouttelettes lipidiques seraient ainsi à l’origine d’un stress mécanique intra-cellulaire susceptible de conduire à un CHC par une voie mécanique distincte de celle induite par le substrat matriciel. Ces résultats démontreraient que, tout comme l’altération fibrotique matricielle pourrait induire un comportement pathologique cellulaire, ces gouttelettes pourraient également altérer la détection des contraintes matricielles et la réponse des hépatocytes pour conduire à un CHC. Les cellules réagiraient aussi bien à une modification mécanique de leur environnement matriciel qu’à celle du milieu intracellulaire et pourraient y répondre de manière pathologique de diverses manières en induisant une CHC ou par une altération de leur sécrétion matricielle amenant à la fibrose. Cette étude porte un regard nouveau sur les processus physiopathologiques en éclairant les processus mécanobiologiques d’interactions des cellules avec leur microenvironnement. Elle démontre un lien entre l’accumulation d’acide gras intra-cellulaire, consécutif à l’excès d’absorption d’aliments caloriques caractéristique du syndrôme métabolique, et la NAFLD, la NASH, la cirrhose ou le CHC. Anatomiquement, si ces mécanismes sont à l’œuvre dans le parenchyme hépatique, partie fonctionnelle de l’organe, affectent-ils consécutivement l’enveloppe fasciale du foie, la capsule de Glisson ? Est-ce au contraire la capsule qui en constitue le point de départ ? Ou bien existe-t-il deux processus conjoints et distincts ? Ce sont les questions que cette équipe de chercheurs se sont posées dans une étude récente consacrée à l’altération structurelle et fonctionnelle de la capsule de Glisson chez des patients présentant des atteintes hépatiques [55].

Le tissu parenchymateux hépatique forme un volume ovoïde épais à droite et s’effilant pour finir en pointe à gauche sous la coupole diaphragmatique gauche. Il est séparé en quatre lobes, droit, carré, caudé et gauche dont chacun est recouvert sur toute sa surface d’une enveloppe fasciale qui forme une enceinte continue, la capsule de Glisson. La couche profonde tapisse de manière intime les différents lobes, en continuité directe avec le parenchyme hépatique, apportant un soutien structurel et protecteur pour l’intégrité de l’organe. Le feuillet superficiel se prolonge par un certain nombre d’épaississement fasciaux ligamentaires arrimant le foie au diaphragme. S’étendant à sa face postérieure, le ligament coronaire, composé de deux feuillets supérieur et inférieur, est un épaississement répondant à l’area nuda à la face inférieure du diaphragme droit autour de l’orifice de la veine cave inférieure rejointe par les veines sus-hépatiques. Aux deux extrémités droite et gauche, l’accolement de ces deux feuillets forme les ligaments triangulaires droit et gauche. Le feuillet supérieur est en relation avec l’extrémité supérieure et postérieure du ligament falciforme, véritable expansion du diaphragme traversant le foie, qui les arrime intimement ensemble. Il se termine par le ligament rond qui se prolonge dans le sillon ombilical jusqu’à l’ombilic [56,57].

Classiquement décrits comme « éléments de fixité », les feuillets profond et superficiel de la capsule de Glisson présentent des propriétés élastiques lui permettant de s’adapter aux contraintes structurelles fonctionnelles aussi bien intrinsèques qu’extrinsèques. Les premières sont induites par les changements de taille des hépatocytes en fonction des périodes d’activité ou de repos, notamment en phase post-prandiale et des fluctuations de sa régulation circadienne notamment endocrinienne. L’enveloppe capsulaire doit ainsi s’adapter à des variations géométriques et volumiques de l’ordre de 34 % chez la souris et de 10 à 15 % chez l’humain [58]. Elle subit également des contraintes extrinsèques, particulièrement en raison de la très forte connexion entre le diaphragme et le foie qui impose à ce dernier de répondre à la dynamique cyclique ventilatoire. L’ascension et la descente alternées de la paroi diaphragmatique, de l’ordre de 15 mouvements par minute, déplace l’organe tout en le déformant, nécessitant que sa morphologie s’y adapte. Ces propriétés dynamiques supposent que ces deux feuillets, à l’instar des fasciae épymisiaux et aponévrotiques de l’enveloppe corporelle [7,59] puissent glisser entre eux. Enfin, le feuillet inférieur du ligament coronaire, se prolongeant par le petit épiploon entourant le hile du foie, permet d’établir une continuité digestive viscérale, constituant un véritable collecteur circulatoire reliant le foie à l’œsophage abdominal, à l’estomac et au duodénum et livrant passage au canal cystique, au canal hépatique commun, à l’artère hépatique et à la veine porte. De ce fait, la quasi-totalité des flux veineux sous diaphragmatiques porte, drainant le sang digestif, et cave passent par le foie pour rejoindre le cœur droit, et dépendent également de la qualité de cette dynamique ventilatoire conjointe.

Dans une étude réalisée en 2022, Llewellyn et al. [55] cherchaient à caractériser les changements structurels interstitiels et cellulaires d’échantillons prélevés chez des patients stéatosiques, modérément fibrotiques et cirrhotiques, comparativement à des participants témoins tout en étudiant leurs propriétés mécaniques (10 échantillons témoins, 6 stéatosiques,

7 modérément fibrotiques et 37 cirrhotiques). Leur objectif était de déterminer s’il existait une corrélation entre des modifications structurelles et mécaniques et l’évolution de la gravité des pathologies hépatiques. Ces chercheurs ont analysé les modifications des principaux composants membraneux de la MEC membraneuse, le collagène et l’élastine, et interstitiels liquidiens, l’acide hyaluronique et le versican. Chez les participants atteints de cirrhoses sévères, ils ont observé une altération de la structure interne des fibres de collagènes dont le sertissage du collagène se trouve réduit dans les capsules cirrhotiques. Ce qui entraîne une diminution de leur élasticité et une fragilité accrue de leur structure.

À ces altérations collagéniques s’ajoute l’augmentation significative de la concentration d’acide hyaluronique et de versican qui s’accumulent dans la partie profonde, interne, de la capsule à la proximité immédiate des tissus parenchymateux. On observe également une prolifération des cellules caractéristiques de la production matricielle inflammatoire : cellules vasculaires, cellules immunitaires infiltrantes (leucocytes), cellules épithéliales biliaires et surtout fibroblastes activés (myofibroblastes). L’ensemble de ces modifications microscopiques (figure 3) (augmentation des composants structurels clés, augmentation du nombre de cellules, changement dans l’organisation matricielle) recompose la structure tissulaire macroscopique avec un épaississement de l’épaisseur globale de la capsule au stade avancé de la maladie. Mécaniquement, on mesure un étirement plus important sous une force donnée et une raideur plus faible comparativement aux tissus sains.

Sur le plan mécanique, ces altérations architecturales se traduisent par des modifications caractéristiques des courbes Force-Déplacement (Load-Displacement) et Contrainte-Déformation (Stress-Strain). La pente de la courbe force/déplacement qui exprime la raideur est nettement diminuée chez les patients atteints de cirrhoses avancées de même que celle de contrainte déformation qui donne le module d’élasticité, signifiant une altération définitive des propriétés mécaniques de leurs tissus capsulaires. Cependant, il semble apparaitre une diminution minime de la pente des courbes de Contrainte-Déformation chez certains participants présentant des pathologies modérées (NAFLD), témoignant d’une possible modification précoce de la dynamique tissulaire même si l’on ne perçoit pas encore d’altérations matricielles significatives.

Les capsules des patients atteints de cirrhose sont moins rigides que celles des patients témoins.
(A) Capsule (entre les flèches blanches) soumise à un essai en traction. (B) Courbes force-déplacement représentatives. (C) Courbes de contrainte-déformation représentatives. (D) Charges ultimes à la rupture du tissu. (E) Calcul des contraintes maximales à la rupture du tissu. (F) Modules calculés à forte déformation. Les données ont été analysées à l’aide d’un test t de Student non apparié à deux voies et sont indiquées en tant que moyenne ± SEM. N = 4-13.
ETOH, maladie hépatique induite par l’éthanol ;
NAFLD, stéatose hépatique non alcoolique ;
PSC, cholangite sclérosante primaire.

Les deux études décrites précédemment apportent des connaissances nouvelles sur les interactions mécanobiologiques des cellules hépatiques avec leur environnement matriciel. D’une part l’étude de Chin et al. [41] a mis en évidence que la présence de grosses gouttelettes lipidiques dans les hépatocytes pourrait également induire un CHC en modifiant le comportement mécanique des cellules avec leur micro-environnement, augmentant la raideur du parenchyme hépatique. D’autre part, Llewellyn et al. [55], qui ont choisi d’explorer l’évolution et la reconfiguration de la MEC capsulaire liée aux pathologies inflammatoires du foie (stéatose, fibrose modérée et cirrhose), ont montré que la capsule de Glisson pourrait être un site actif de ces pathologies chez l’homme. Cependant, contrairement aux régions parenchymateuses, il semblerait que les altérations observables ne surviennent que lors de la phase finale cirrhotique de la maladie. Ce qui, pour les auteurs, laisse entrevoir un processus physiopathologique graduel du parenchyme dont les premiers stades, s’ils impliquent la capsule fonctionnellement, ne provoquent pas de modifications structurellement observables. Ils interprètent ces observations comme un mécanisme de protection et de compensation pour équilibrer fonctionnellement les surpressions qui s’installent au cœur des tissus parenchymateux de l’organe. Selon eux, une capsule plus souple pourrait servir de mécanisme compensatoire pour réduire ces contraintes internes, minorant ainsi l’hypertension portale observée dans la cirrhose.

Nous suggérons qu’il pourrait s’agir d’un processus adaptatif plus global : l’évolution de la dégradation de son enveloppe fasciale pourrait ainsi être corrélée à des altérations de son comportement mécanique amplifiant et/ou découlant de l’action inflammatoire, au fur et à mesure de la rigidification parenchymateuse. Pour appréhender ce mécanisme physiopathologique viscéral, nous proposons d’établir un parallèle avec les contraintes cycliques de la fonction locomotrice qui s’exercent sur les unités ostéo-chondrales que sont les articulations. Au sein de ces unités, les chondrocytes sont soumis à des contraintes diverses de compression, traction et cisaillement provenant du système myofascial auquel elles sont connectées. Elles y réagissent en sécrétant les différentes composantes de la matrice cartilagineuse [60]. Bien évidemment, elles peuvent produire une matrice dégradée [61,62] à l’origine de l’arthrose en réponse à des évènements traumatiques ou à des contraintes myofasciales altérées. Cependant un consensus semble se dessiner pour un processus physiopathologique plus complexe, selon lequel la dégradation matricielle répond à divers facteurs dépassant le simple cadre de la fonction locomotrice [63-65]. Il implique l’influence de l’inflammation de bas grade due à des causes locales ou générales, du stress oxydatif et la présence de comorbidités comme le diabète. L’ensemble de ces stimulis sont susceptibles, conjugués aux contraintes mécaniques cycliques locomotrices, de déséquilibrer l’alternance catabolisme/anabolisme [66]. En particulier, le déséquilibre du rythme circadien et la diminution de la synthèse de mélatonine qu’il provoque peut influencer ce système (figure 4) [67]. Les études les plus récentes [65] montrent même que, si l’apparition des symptômes est la conséquence de l’interaction entre les lésions mécaniques de l’unité ostéo-chondrale et l’inflammation chronique de bas grade de la membrane synoviale, on observe auparavant la présence de lésions osseuses sous-chondrales.

Ainsi, que ce soit les fibroblastes de la capsule de Glisson ou les chondrocytes produisant celle des unités ostéo-chondrales, ce serait bien la conjugaison des facteurs biologiques locaux et généraux et des contraintes mécaniques cycliques qui participerait à l’altération pathologique des propriétés mécaniques fonctionnelles des interfaces fasciales (tableau I).

Dans le cas du foie et de son enceinte fasciale, bien que soumis indirectement aux contraintes cycliques de l’appareil locomoteur, nous suggérons que ce soit le diaphragme qui soit la source des forces mécaniques auxquelles ils sont soumis. Paroi séparant le thorax de l’abdomen tout en étant considéré comme un muscle en raison des fibres musculaires des parties verticales de ses coupoles, le diaphragme est un élément anatomique complexe dont le rôle d’inspirateur principal semble bien loin de décrire la complexité de ses rôles dans de multiples fonctions.

D’un point de vue évolutif, la fonction ventilatoire est étroitement liée à l’apparition et au développement d’une respiration aérienne. Selon Roux [68], cette respiration semble être apparue plusieurs millions d’années avant l’apparition des premiers tétrapodes et la vie en milieu aérien. D’abord limitée à la cavité buccale, l’appareil ventilatoire a commencé à évoluer à partir des structures céphaliques et axiales développées précédemment pour la fonction digestive. D’une structure monocavitaire ou sacculaire, elle s’est complexifiée chez les amniotes pour constituer des organes pluricavitaires eux-mêmes organisés en subdivisions successives pour aboutir aux poumons bronchoalvéolaires des mammifères [68]. A partir de la localisation buccale originelle, ces structures ont progressivement colonisé la région cervicale et thoracique. Par ailleurs, l’augmentation de la surface d’échange gazeux s’est également effectuée par un réseau de septa à la surface des cavités pulmonaires. De tels poumons complexes supposent l’évolution conjointe d’une mécanique ventilatoire recrutant au fur et à mesure de sa descente vers le thorax les muscles axiaux des régions cervicales et thoracique. À partir d’un mécanisme de compression par refoulement impliquant exclusivement la bouche, la fonction ventilatoire est devenue chez les amniotes un mécanisme par aspiration impliquant les muscles de la paroi corporelle et leurs dérivés [69].

Chez les mammifères, de nombreux groupes musculaires participent à chaque cycle à la dilatation/constriction des sacs pulmonaires que l’on peut classer en deux groupes selon leur mode d’action liée à leur localisation. Le premier groupe, constitué de muscles localisés dans les régions buccale et cervicale, assure le maintien du calibre des voies aériennes supérieures pour éviter leur collapsus résultant de la pression négative générée par la dilatation thoracique inspiratoire. Ils proviennent, au cours de l’ontogénèse, de la musculature segmentaire de la paroi corporelle qui migre autour de l’appareil branchial [69]. Le second groupe, composé de muscles thoraciques (principalement intercostaux) et abdominaux, dilatent la paroi corporelle pour générer l’inflation pulmonaire. Ils dérivent phylogénétiquement des muscles épaxiaux et hypaxiaux des poissons [70]. L’action coordonnée et rythmique de l’ensemble de ces muscles constitue un schéma ventilatoire complexe contrôlé par un groupe de noyaux de neurones pacemakers situés dans le bulbe rachidien et le pont. Ces neurones assument une fonction d’oscillateurs rythmiques qui distribuent leur influx vers des pré-motoneurones de la moelle ventrolatérale [71] qui à leur tour se projettent vers les nerfs crâniens et les motoneurones spinaux thoraciques et abdominaux [69,72]. La régulation de cette rythmicité implique des chimiorécepteurs périphériques carotidiens sensibles à la concentration en oxygène sanguin et centraux situés à proximité des centres oscillateurs sensibles à celle du dioxyde de carbone. Elle influera sur l’intensité des signaux effecteurs afin de renforcer ou de diminuer la fréquence et l’amplitude des actions musculaires ventilatoires. Le système oscillateur central serait probablement antérieur à la respiration aérienne, initialement dévolu à l’activité branchiale [73] et se distribue aux effecteurs musculaires qui conservent par ailleurs, de par leur origine phylogénétique et ontogénique, une forte connexion avec leurs fonctions d’origine digestive [69] ou locomotrice [69,74-76]. Le diaphragme, présent uniquement chez les mammifères, semble s’être ajouté à cet appareil complexe pour répondre, comme le suggère Roux [68], à la moindre compliance de poumons à la surface d’échange démultipliée. Mais qu’en est-il exactement ?

Décrite pour la première fois par Erasistrate et confirmée par Galien, la fonction du diaphragme semblait définitivement acquise : la dilatation du thorax dévolue à la fonction ventilatoire. Owen en 1868 [77] pose pour la première fois la question de l’origine de ce muscle propre aux mammifères alors que Le Double et Marey en 1897 [78] recadrent le débat en insistant sur son anatomie liée au foie et au couple péricarde/cœur. Ils ajoutent qu’embryologiquement il est intimement lié à la formation des cavités et à la partition thoraco-abdominale. Phylogénétiquement, il apparait que cette dernière a longtemps été réalisée par une septation passive [69], les plus fréquentes trouvées chez les vertébrés aériens sont les septa post-pulmonaire (SPP) et post-hépatique (SPH) selon que sa relation semble liée tantôt aux poumons, tantôt à la capsule fibreuse du foie et dont l’un des rôles est l’arrimage de certaines composantes du mésentère. L’origine des fibres musculaires ayant présidé à l’origine du diaphragme fait l’objet d’une controverse ancienne avec plusieurs hypothèses contradictoires récentes. Hirasawa et Kuratani [76,77] à partir de travaux sur les progéniteurs musculaires couplés à des analyses comparatives retraçant le siège d’origine phylogénétique chez de nombreuses espèces, proposent un scénario impliquant des fibres du subscapulaire alors que Sefton et al. [81] suggèrent que les progéniteurs du diaphragme proviennent initialement des somites cervicaux et suivent dans leur « descente » les membranes pleuropéritonéales. Dans les deux cas, l’innervation haute des muscles d’origine aurait permis aux fibres diaphragmatiques de bénéficier de la rythmicité des oscillateurs bulbaires. Ce qui expliquerait la confusion sur son rôle ventilatoire.

En effet, Kocjan et al. [82] notent qu’il participerait à de nombreuses autres fonctions thoraco-abdominales comme la modulation du contrôle vasculaire, la fonction lymphatique, comme barrière anti-reflux gastro-oesophagien et la déglutition. Perry et al. [69,70] suggèrent qu’il assumerait également des fonctions non rythmiques notamment lors des actions d’expulsions en relation avec la fonction ventilatoire, lors des efforts de toux, d’expiration volontaire forcée et du rire, lors de la défécation, des vomissements, de la miction et de la parturition. Concernant cette dernière, Jones rapportait dès 1913 de « nombreux cas d’hématomes multiples du diaphragme chez des femmes mortes en couches ou à la suite d’un accouchement » et Perry et al. [69] suggèrent que : « D’un point de vue évolutif, on peut émettre l’hypothèse que le développement d’un diaphragme musculaire au début de la lignée des mammifères a contribué à permettre aux mammifères de mettre au monde et de donner naissance à une progéniture vivante. De plus, la fonction expulsive du diaphragme pourrait être considérée comme une exaptation favorisant l’évolution de la taille de la tête chez l’homme (et donc du cerveau humain « disproportionné ») ».

Perry et al. concluent que sa fonction ventilatoire ne soit finalement qu’une exaptation c’est-à-dire une fonction accessoire devenue principale ou prétendue comme telle. Ils envisagent ainsi le rôle du diaphragme comme organisateur viscéral selon deux modes, statique et dynamique. Le mode statique serait caractéristique de son activité ventilatoire en maintenant les viscères abdominaux pour éviter leur remontée lors de l’inspiration : la dépression pleurale, nécessaire à l’établissement d’un gradient de pression avec l’air atmosphérique, générée par la dilation intercostale, les attirant vers la cavité thoracique. Un premier mode dynamique concerne le couplage des fonctions locomotrice et ventilatoire lors de la marche et de la course. Bramble [83,84], Carrier [74] et Perry [76] et leurs coauteurs ont observé de nombreuses preuves de ce couplage avec notamment des synchronisations entre les rythmicités de ces deux fonctions même avec des mécanismes ventilatoires différents. La contraction diaphragmatique serait alors synchronisée avec celle de la locomotion afin de contrer le déplacement inertiel des viscères abdominaux et ainsi stabiliser le contenu péritonéal au cours du mouvement. Un second mode dynamique s’observerait lors des activités impliquant des efforts musculaires de force ou de vitesse, en dehors de la marche et de la course, nécessitant un maintien postural. C’est le cas par exemple dans certains sports comme l’haltérophilie, les sports de combat ou les lancers. L’organisme devra produire des efforts, intenses ou rapides, des muscles de la paroi corporelle pour lesquels il sera nécessaire de s’appuyer sur une structure axiale stabilisée. Hodges et al. [85,86] observent une activité anticipatoire diaphragmatique préalable aux mouvements des membres supérieurs, une synchronisation de l’activité du diaphragme en cas de mouvements rapides et répétitifs ainsi que des synchronismes avec les muscles abdominaux et pelviens. Perry et al. [69] notent « que les muscles du plancher pelvien sont liés aux muscles respiratoires par des réflexes polysynaptiques qui sont déclenchés par des augmentations de la pression abdominale lors de l’expiration – toux – ou de l’inspiration – reniflement ». Ces différentes constatations supposerait la co-activation du diaphragme, des muscles abdominaux et pelviens nécessaire à l’augmentation de la pression intra-abdominale observée lors de ces tâches posturales. Lors des efforts de levage, Perry et al. [69] avancent que « le diaphragme semble être le principal déterminant du niveau de pression atteint, auquel contribue également la fermeture de la glotte. » Cela s’associerait à l’augmentation de rigidité rachidienne et à la stabilisation du jeu intervertébral lombaire.

L’ensemble de ces éléments laisse apparaitre une double implication du diaphragme au sein du système fascial :
– en raison de son intégration au sein de l’appareil rythmique ventilatoire, il interagirait avec le système myofascial de l’enveloppe corporelle lié à l’activité locomotrice et se comporterait, comme le propose Aliverti et al. [87,88], comme un générateur de flux ;
– en raison de sa situation anatomique exceptionnelle au sein de la cavité thoraco-abdominale lui permettant d’avoir une liaison anatomique avec tous les organes qui s’y trouvent, il jouerait un rôle d’organisateur viscéral. À la fois stabilisant pour les maintenir en place mais également dynamisant pour favoriser les échanges vasculaires interstitiels (Benias et al. [8]) aussi bien que veineux et lymphatique (Kocjan et al. [82]).

En raison de sa connexion très intime au diaphragme avec lequel il possède une surface de contact avec la quasi-totalité de la coupole droite et déborde largement vers la gauche, le foie est mobilisé au rythme de la dynamique ventilatoire. Les mouvements du diaphragme le mobilisent comme une pompe et lorsque la dégradation matricielle est suffisamment avancée, comme dans le cas des unités ostéochondrales, cette dynamique est susceptible d’accélérer les processus pathologiques en amplifiant les effets des phénomènes inflammatoires. Toutefois, l’altération des propriétés mécaniques hépatiques pourrait avoir d’autres conséquences en modifiant en retour la dynamique du diaphragme influant ainsi sur l’ensemble de ses fonctions.

En raison de son implication dans la dynamique circulatoire, cette altération de la dynamique diaphragmatique provoquerait une diminution de la résorption veineuse sous diaphragmatique, qu’elle provienne du système porte mésentérique qui se draine dans le foie ou de la veine cave inférieure qui le traverse. En amont, comme le suggère Benias et al. [8], cela influerait puissamment sur la circulation interstitielle et la diffusion liquidienne au sein des espaces viscéraux thoracique et surtout abdominaux mais également sur le retour veineux des membres inférieurs. En aval, cette diminution est susceptible de diminuer la précharge du flux sanguin sus-hépatique qui, en raison de la loi de Frank-Starling, peut affecter la fonction cardiaque. Selon cette loi qui décrit la relation entre le volume de remplissage du cœur et la force de contraction cardiaque, plus la précharge correspondant au degré d’étirement des fibres myocardiques avant la systole est élevée, plus la contraction serait efficace [89]. La diminution de cette précharge, de la même façon que lors d’une hémorragie, pourrait avoir des conséquences sur la fonction cardiaque.

D’autre part, elle influera principalement sur la dynamique de la coupole diaphragmatique droite qui, pour une contraction équivalente produira une déformation altérée de sa géométrie. Même si celle-ci s’avère minime, elle se répétera à chaque cycle avec une moindre efficacité dans son action ventilatoire. En raison des mécanismes de compensation, l’appareil ventilatoire devra adapter son recrutement musculaire pour conserver l’adéquation des besoins en oxygène et de la résorption du dioxyde de carbone mesurés par les chémorécepteurs. Du fait de l’implication conjointe de la plupart des muscles ventilatoires dans la fonction locomotrice, cette dernière devrait également adapter ses stratégies ce qui modifiera les trajets de transmission des contraintes au sein du système fascial. Si le phénomène perdure dans le temps ces contraintes cycliques altérées pourraient s’imprimer dans les tissus, comme dans le cas d’un traumatisme, en raison de la réponse des fibroblastes aux stimulis mécaniques qui pourraient reconformer les travées collagéniques.

Nous proposons donc que de futurs travaux explorent ces mécanismes afin d’éclairer les processus physiopathologiques et les interactions entre les organes, leurs fasciae viscéraux et la dynamique rythmique ventilatoire.

La description systématique du système fascial humain par Stecco [7] apporte un cadre anatomique nouveau au sein duquel les forces mécaniques interagissent avec le système neurosensoriel [90,91]. Concernant aussi bien l’enveloppe corporelle que les structures viscérales et neurales, ce réseau servirait de support à un nouvel organe circulatoire, complémentaire des systèmes vasculaires sanguins artériels et veineux, et lymphatique. Ce « troisième espace » qui constituerait, selon Theise [11,36], l’interstitium serait soumis à des cycles de distension/compression que produirait, selon Benias et al. [8], l’action mécanique des organes auprès desquels ils sont localisés. Ces cycles, qui animerait les organes par les fonctions rythmiques cardiaques, ventilatoires et péristaltiques [92], seraient produits par des cellules spécifiques nommées oscillateurs ou pacemakers étudiés par les chronobiologistes [93-96]. Nous suggérons que cette approche chronobiologique de l’interstitium et du système fascial fasse l’objet d’un nouveau modèle multiéchelle apportant un cadre spatio-temporel complexe du corps. L’implication de la mélatonine [66], essentielle à la synchronisation circadienne de l’ensemble de nos horloges internes, dans l’activité inflammatoire et la dégradation tissulaire abordée précédemment montre l’intérêt mécanobiologique de son action hormonale. L’influence de la rythmicité ventilatoire mettant en lien l’adaptation ventilatoire par l’inflation/rétraction de l’ensemble de l’enveloppe corporelle avec la nécessité respiratoire cellulaire assurée par les mitochondries en est une autre illustration qui nous apparait incontournable à la compréhension de la dynamique interstitielle et fasciale. Au centre des pratiques les plus anciennes que sont notamment le yoga et le qi qong, la respiration a fait l’objet de nombreuses approches aussi bien posturale [97-99] que morphogénique, particulièrement du système maxillo-mandibulaire [100-106] sans qu’un modèle théorique général parviennent à émerger. Selon Gagey [107], il existerait un mystère « posture-ventilation ». L’intégration des approches chronobiologiques permettant de battre la mesure des interactions mécanobiologiques complexes cellules/MEC devrait faire apparaitre des propriétés émergentes au sein des systèmes biologiques. Elle permettrait ainsi d’éclairer le rôle de la ventilation dans la morphogénèse et ses interactions avec les autres systèmes rythmiques à chaque niveau d’organisation, de la conception à la mort.

Ces nouvelles perspectives d’ordre théorique devraient faire apparaitre des axes physiopathologiques et diagnostiques tout en amenant les praticiens à s’interroger sur les interactions entre les mécanismes dans la mise en œuvre de leurs pratiques thérapeutiques, manuelles ou non. Ainsi de nombreuses questions se posent lorsque leurs actions mécaniques manuelles interagissent avec le corps de leurs patients et s’exercent sur des structures anatomiques et des organes :
– Quelles influences ces actions ont-elles sur les tissus directement ou indirectement stimulés ?
– Impliquent-elles une amélioration de la dynamique interstitielle à court, moyen ou long terme ?
– Affectent-elles et de quelles manières le système fascial et sa conformation ?
– Cette redynamisation entraine-elle une modification des réponses cellulaires, des processus inflammatoires, de la posture ou d’autres paramètres ?

Ces futurs travaux devraient s’inscrire dans une approche complexe telle que la définissent Macklem [108] ou Morin [1,109], les rythmicités constituant une réponse auto-éco-organisée du vivant au chaos. Elle suppose que chercheurs et praticiens en comprennent les enjeux au cœur des interactions mécanobiologiques à l’échelle microscopique impliquant les milieux interstitiels aussi bien que dans la construction de l’organisation corporelle macroscopique des organes et de l’organisme dont le système fascial constitue le support biomécanique. Pour cela, ils devront appréhender la multiplicité des mécanismes en jeu au sein d’un organisme en connexion avec son environnement biologique, impliquant le système immunitaire (alimentation, agents polluants, pathogènes et microbiote), ainsi que dans ses interactions sociales et anthropologiques. Enfin et peut-être surtout, une telle approche complexe suppose d’abolir les limites entre les nombreux domaines scientifiques étudiant ces phénomènes pour développer des travaux de recherche intégrant pleinement l’expérience clinique des praticiens corporels. Ce dernier point nécessitera bien évidemment de décloisonner les disciplines médicales et de fluidifier les rigidités hiérarchiques pour parvenir à établir une collaboration sans a priori entre les différentes spécialités thérapeutiques où tous devront maîtriser le vocabulaire, les outils, les concepts propres à penser « complexe » [110].

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Une pompe matricielle cardio-ventilatoire à l’origine d’un flux interstitiel périvasculaire

En 2014, l’Atlas Fonctionnel du système Fascial Humain de la Pr Carla Stecco consacrait pour la première fois un ouvrage anatomique aux fasciae, sur lesquels A.T. Still faisait reposer les fondements de l’ostéopathie 140 ans plus tôt. En 2024, pour ses 150 ans, l’intuition de son fondateur est de nouveau confortée par les travaux récents d’une équipe de chercheurs chinoise qui s’est interessée à la dynamique interstitielle périvasculaire. Dans leur article, Hongyi Li et al, une équipe pluridisciplinaire de Pékin et Shangai, partant de précédents travaux ayant montré une dynamique interstitielle adventitielle, rapportent des observations montrant l’implication de la dilatation/contraction rythmique cardiopulmonaire dans la régulation de ces flux adventitiels périvasculaires. Comme nous l’avions proposé dans un article publié en juillet 2023, une dynamique rythmique, principalement cardio-ventilatoire, semble bien animer les espaces interstitiels. Les dilatations/contractions conjointes du cœur et des poumons créeraient une flux interstitiel périvasculaire dans un espace localisé le long et autour de l’adventice des vaisseaux entourée de fasciae formant une « matrice adventitielle », à l’origine d’un écoulement liquidien non canalisé. Ainsi, ces découvertes semblent enfin démontrer l’existence d’une pulsation tissulaire, certes très subtile mais perceptible justifiant l’importance que A.T. Still accordait à la règle de l’artère. En effet, son rôle ne serait pas que de transporter le sang à distance mais de distribuer les flux interstitiels le long de son trajet à tout le système fascial…

Découverte en 1928 à Padoue par William Harvey, la circulation sanguine semblait avoir définitivement apportée une conception systèmique en remplaçant l’antique théorie des humeurs. Cependant, à la fin de XIXème siècle, Franck Starling avait proposé qu’à cette théorique circulatoire fondée sur la poussée cardiaque animant le système artériel s’ajoute une composante d’aspiration. Le cœur se transformait ainsi en une pompe à aspiration/compression où le débit veineux précardiaque jouerait un rôle substantiel dans les pathologies cardio-vasculaire. Par ailleurs, les travaux de l’anatomiste Franklin Mall au début du XXème siècle repris récemment par l’équipe du Pr Neil Theise avaient par ailleurs démontré l’existence et la dynamique de l’interstitium mais sans pour autant parvenir à révéler les mécanismes en cause.

Constatant l’omniprésence d’un flux non canalisé le long de l’adventice de nombreux organes (cerveau, thymus, foie etc..) vers le cœur et les poumons, selon un mécanisme de régulation inconnu, Hongyi et al ont utilisé un traceur fluorescent pour en suivre la progression. Réalisées dans le cerveau, les membres inférieurs, l’abdomen et le thorax jusqu’au cœur et aux poumons chez des rats, des lapins et des humains, ces observations ont observé un flux interstitiel s’écoulant longitudinalement dans les tissus conjonctifs adventitiels. Cheminant autour des tissus périvasculaires cérébraux aussi bien que le long des artères et veines des membres, du cœur et des poumons, ce serait en fait toute l’arborescence vasculaire artérielle et veineuse du corps, des gros troncs jusqu’aux capillaires, qui servirait de support à ce nouveau mécanisme de régulation de la matrice fluide.

L’observation de ce flux interstitiel adventitiel montre que son écoulement s’effectue aussi bien le long des vaisseaux systémiques que pulmonaires. En utilisant une méthode échographique nommée vélocimétrie quantitative par suivi de speckle (en anglais speckle tracking vélocimetry STV), il s’est avéré correlé avec la fréquence cardiaque, tout en augmentant lors de l’apnée et devenait pulsatif lors de ventilations intenses. Et sur des cadavres, on observait la formation d’une adventice si l’on impulse des compressions cardiaques répétitives !

Afin d’explorer ce phénomène, les auteurs ont appliqué séparément, le long de la veine fémorale deux types de stimulis :
– Des compressions cardiaques mécaniques répétées entrainent une dynamique rythmique alternée du FIS adventitiel, globalement centripète
– Des ventilations mécaniques répétées génère cette dynamique alternée, globalement centrifuge

Même si les auteurs précisent qu’il est nécessaire de conduire d’autres travaux pour étudier cette dynamique le long des artères systémiques et des vaisseaux pulmonaires, le mécanisme intégrant ces deux dynamiques rythmiques montre :

Pour expliquer cette dynamique rythmique, il avait été proposé l’interaction de deux mécanismes générés par deux forces différentes :
– La force de cisaillement provoquée par le flux sanguin pulsé sur la paroi du vaisseau.
– La pulsation mécanique provoquée par l’onde mécanique de la contraction cardiaque transmise à travers la paroi des vaisseaux, rigidement connectés tout au long de l’arborescence vasculaire.

Plusieurs expériences, utilisant notamment un vibromètre laser, ont montré que ces deux mécanismes ne suffisaient pas à expliquer l’ensemble du phénomène. Les forces motrices de ce flux interstitiel adventitiel proviendrait plutôt d’une dynamique complexe cardio-pulmonaire dont les expansions et contractions rythmiques animent une circulation périvasculaire dont la fréquence est corrélée à la fréquence ventilatoire. Les auteurs proposent de nommer cette dynamique du complexe cardio-pulmonaire « pompe à matrice à gel ». Les déformations de cette pompe seraient susceptibles de générer au moins deux forces motrices complémentaires :

Les gradients de pression alternativement positifs et négatifs produiront une onde qui se propagera à l’ensemble du réseau de l’arbre vasculaire tantôt centrifuge, tantôt centripète que les forces d’interaction interfaciales, à l’œuvre au sein des tissus adventitiels, vont favoriser ou diminuer. Les auteurs suggèrent que « Lorsque le cœur et les poumons se dilatent ou se contractent, la matrice interstitielle à l’intérieur du cœur et des poumons se déforme de manière cyclique et fonctionne comme un moteur, appelé ” pompe à matrice ou à gel ».

L’ensemble du corps semble ainsi parcouru par un flux interstitiel dans l’adventice le long de l’arbre vasculaire, y compris autour des capillaires les plus périphériques. Créant une dynamique interstitielle globale, elle participerait activement à l’équilibre dynamique liquidien assurant la perfusion et le drainage dans les organes et tissus. Elle apporterait une confirmation, même si surprenante, à l’intuition de A.T. Still pour qui « la règle de l’artère est suprême ». Comme nous l’avions déjà proposé, la dynamique rythmique animerait bien les espaces interstitiels. Les auteurs suggèrent que « la pompe matricielle proposée pourrait inspirer d’autres recherches sur les mécanismes moteurs de la façon dont le cœur et les poumons génèrent les forces de « traction » ou de « poussée » au cours d’un cycle cardiaque ou pulmonaire. » Nous proposons que de futurs travaux s’attachent non seulement à découvrir plus en détail cette pompe à matrice mais également à mettre en évidence le rôle du système fascial, dont les enveloppes périvasculaires semblent impliquées dans ce flux interstitiel adventitiel, dans la conduction mécanique des ondes qu’elle produit.

Concernant la « contraction pulmonaire » évoquée par les auteurs, elle est en réalité provoquée par l’ensemble des tissus myofasciaux impliqués dans la dilation/rétraction ventilatoire. Leur rôle, tout particulièrement celui du diaphragme, dont nous avions montré le couplage à la locomotion semble à redéfinir dans le cadre d’une prise en charge thérapeutique. S’ajoutant à son rôle d’organisateur viscéral que nous avions mis en évidence, lié à sa situation topographique unique le mettant en relation avec la quasi-totalité des viscères abdominaux et thoraciques tout en étant étroitement connecté avec le système locomoteur de la paroi corporelle, le diaphragme se voit également impliqué très intimement dans cette nouvelle fonction de pompe matricielle. Plus que jamais, il est nécessaire de dépasser son rôle de primum movens ventilatoire pour s’intéresser à l’ensemble de ses connexions directes et indirectes.

De plus, à cette influence à distance, conjointement à l’onde cardiaque, sur les flux interstitiels adventitiels périvasculaires des tissus et organes pourrait s’ajouter une action plus directe sur les organes eux-mêmes. Ce pourrait être particulièrement le cas du foie dont la dynamique interstitielle autour du ligament falciforme, observée à l’échographie viscérale, semble directement animée par la transmission de l’onde cardiaque. En effet, sa situation anatomique spécifique avec une proximité immédiate du cœur dont il n’est séparé que par deux structures fasciales partie prenante de cette pompe matricielle que sont le péricarde et le centre phrénique rendent la propagation de l’onde cardiaque quasi-instantanée vers l’interstitium hépatique.

Ces travaux théoriques ouvrent des perspectives physiologiques et physiopathologiques fascinantes pour les chercheurs mais également pour les praticiens. La dynamique interstitielle démontrée par le Pr Theise et son équipe en 2018 alliée à la compréhension des réseaux membraneux du système fasciaux semblent nous délivrer une conception anatomique et micro-anatomique nouvelle confirmant les intuitions des praticiens manuels dont tout particulièrement A.T. Still. D’autant qu’une autre publication de Li-Feng Jiang-Xie et al relatant les travaux de l’équipe du centre d’immunologie cérébrale et gliale de l’université Washington de Saint Louis montre comment les potentiels d’action individuels synchronisés des réseaux neuronaux créent des ondes ioniques suffisamment amples, rythmiques et auto-entretenues au sein du liquide interstitiel cérébral. Cette étude pourrait apporter une base scientifique à une origine neurogène du Mouvement Respiratoire Primaire (MRP) décrit par W.G. Sutherland (« The crânial bowl »). Les mécanismes mis en évidence par ces travaux pourraient éclairer d’un nouveau jour les perceptions des praticiens manuels nous amenant à réinterpréter ces dogmes ostéopathiques. Elles devraient les amener à s’interroger sur l’action et l’efficience des techniques manuelles et corporelles. Qu’elles s’appliquent aux structures anatomiques directement reliées ou à la proximité immédiate de cette pompe à matrice comme le péricarde, le diaphragme, le foie ou le mésentère pour en relancer la dynamique ou sur les enveloppes fasciales exocrâniennes pour agir sur celles des méninges pour libérer la circulation cérébrale. Elle appelle plus largement à considérer l’ensemble du réseau vascularisé périphérique comme partie prenante du système fascial qui en assure le support. De manière générale, toute densification locale serait ainsi susceptible de perturber ces mécanismes animant la dynamique interstitielle. Le rôle du thérapeute manuel serait alors pleinement légitimé pour restaurer la perfusion et le drainage liquidien, ces conceptions mécanobiologiques livrant une vision totalement renouvelée de la règle de l’artère de Still et du MRP de Sutherland. Bien évidemment de futurs travaux doivent continuer à explorer ces approches proprement révolutionnaires de la dynamique interstitielle et du rôle, une fois de plus incontournable, du système fascial.

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La course humaine : un défi à la gravité pour maitriser la verticalité !

Lorsque la vie, apparue initialement dans les océans, s’est peu à peu développée hors de ce bain originel pour coloniser les milieux terrestres, les contraintes gravitationnelles s’exerçant sur les corps a changé de nature. Du maintien de l’intégrité de leur système fascial face à la pression en milieu aqueux essentiellement basé sur l’équilibre liquidien, les organismes ont dû construire des structures membraneuses afin de se dresser au-dessus du sol. Les plantes sont devenues de plus en plus ligneuses alors que les cartilages des animaux sont devenus des os, relais essentiels d’une matrice membraneuse beaucoup plus collagénique. L’évolution des membres, issus des nageoires, chez les reptiles puis les mammifères leur a permis de braver l’attraction terrestre pour atteindre des vitesses étonnantes de plus de 100 km/h. En s’appuyant au sol, ils ont su tirer partie des propriétés dynamiques du système fascial pour propulser l’axe central contenant les organes vitaux. Cette stratégie locomotrice a abouti dans un premier temps à la quadrupédie, quasi-exclusivement adoptée par tous les mammifères. Cependant, par un étrange concours de circonstances, certains primates ont su tirer parti des contraintes environnementales pour défier la gravité et se dresser peu à peu sur leurs deux membres inférieurs. Pour aboutir chez homo sapiens à la bipédie qui se révèle être, non seulement un mode de locomotion original, mais peut-être surtout une étape essentielle au développement de ses autres capacités exceptionnelles.

Charles Darwin avait déjà émis l’hypothèse, dès 1871, que le critère déterminant distinguant les humains ne serait ni la taille du cerveau, ni le langage, ni la fabrication et l’utilisation d’outils mais bel et bien la bipédie. Celle-ci semble effectivement un préalable à ces autres compétences plutôt que l’inverse. Chaque avantage acquis menant au suivant en apportant une meilleure efficacité de la bipédie, plus rapide et moins coûteuse en énergie… tout en préparant les conditions qui permettraient l’évolution du langage, de la spécialisation du membre supérieur pour la manipulation d’outils et in fine l’accroissement de la taille du cerveau ! Même si, à première vue, cette stratégie évolutive est surprenante de part les contraintes adaptatives qu’elle impose. Chez les autres vertébrés, seuls les oiseaux ont adopté ce mode de locomotion au sol pour la raison évidente que leurs membres supérieurs sont devenus des ailes. Plus surprenant encore, que ce soit pour sa prédation ou sa protecton, le genre homo ne fonde pas sa survie sur sa vitesse de mise en action caractérisée par une puissante et rapide poussée d’énergie (comme le font tout particulièrement les léopards ou les antilopes…) mais plutôt par sa capacité à poursuivre inlassablement ses proies jusqu’à l’épuisement. L’évolution de la lignée de homo vers cette stratégie trouve son origine il y a 5 à 8 millions d’années, en raison de changements climatiques au cours desquels les zones boisées d’Afrique ont commencé à s’assécher pour devenir des savanes propices à la course en terrain découvert. Au moment où les lignées des humains et des chimpanzés ont divergé…

Le changement climatique pendant l’évolution humaine. (Courbe adaptée de Zachos J et al)
La courbe de gauche montre comment la température des océans terrestres a baissé au cours des 20 derniers millions d’années, avec un événement refroidissant majeur à peu près au moment où les lignées des humains et des chimpanzés ont divergé. Cette courbe est développée à droite pour cibler les 5 derniers millions d’années. La température indiquée par la ligne centrale est la moyenne des nombreuses et importantes fluctuations (représentées par les zigzags). On notera l’important refroidissement au début de l’ère glaciaire.

Comme le propose les Pr Lieberman et Bramble dans un article paru en 2004, l’évolution de la locomotion humaine serait la conséquence de contraintes environnementales qui, au cours d’un long processus, ont transformé peu à peu les corps des primates du clade des homos pour faire d’homo sapiens un athlète d’endurance hors pair. En effet, depuis 20 millions d’années la température des océans est en baisse de manière régulière avec une accélération ces 5 derniers millions d’années. Pour progressive et lente qu’elle ait été, elle a modifié le couvert végétal de la planète transformant les marges des grandes forêts tropicales en steppes boisées, contraignant les populations animales qui les habitaient à s’adapter. L’abondance de nourriture végétale faisant défaut, nos derniers ancêtres communs (Last Common Ancestors, LCA) simiens de ces régions, quasi-exclusivement frugivores, ont dû se rabattre de plus en plus fréquemment sur des aliments de dépannage. Ne trouvant plus de fruits mûrs disponibles en permanence, ils ont opté pour des tiges et feuilles fibreuses d’arbustes et de plantes herbacées pour la recherche desquels ils devaient souvent parcourir de grandes distances pour obtenir la même valeur nutritionnelle. On observe chez les orangs-outangs mais aussi les chimpanzés et certains petits singes une aptitude à la bipédie transitoire quand ils cueillent des baies et des fruits, voir à les transporter pour protéger leur récolte. Ce qui avantagerait les plus doués en période de pénurie.

Ce contexte devenant plus fréquent, un certain nombre de caractéristiques apparues chez certains individus pourraient leur avoir donner un avantage locomoteur déterminant pour leur efficacité et leur reproduction. Citons notamment les modifications de morphologie des hanches orientées plus latéralement, assurant plus de stabilité et de résistance, une cunéïformisation des vertèbres lombaires plus adaptée à la lordose et leur nombre passant de trois à cinq ou une augmentation de la raideur plantaire. Titubant moins en oscillation latérale et en fléchissant moins hanches et genoux, ces premiers hominiens ont ainsi acquis une locomotion plus efficace à la survie dans un contexte climatique changeant. Ces adaptations auront finalement été décisives puisque les humains consomment 4 fois moins d’énergie que nos cousins chimpanzés pour parcourir la même distance… Et même si d’autres arguments sont avancés pour expliquer la persistance de la bipédie (utilisation des outils, franchir des gués, approvisionnements des femelles par les mâles…), ils ne semblent pas résister à une analyse construite.

Les ossements retrouvés de nos lointains ancêtres Australopithèques nous montrent qu’ils présentaient des caractéristiques spécifiques de la marche des homos, avec la capacité à produire un mouvement antéro-postérieur et non une oscillation latérale :

  • Des gros orteils courts et trapus, parallèles aux autres orteils
  • Une cambrure longitudinale du pied, une raideur de la voûte plantaire et une orientation des articulations vers le haut de la base des orteils lui conférant la capacité à raidir la partie médiane du pied lors de l’appui et d’exercer une poussée vers l’avant et le haut lors de l’impulsion.
  • Un calcanéum large et plat capable amortir les forces d’impact de la prise de contact au sol sur le talon, permettant à la jambe en suspension de se projeter en avant pour allonger le pas.
  • Des hanches permettant la rotation interne pour l’alignement du mouvement du genou sur un axe antéro-postérieur
  • Un bassin large nécessaire à l’arrimage osseux pour de puissants muscles stabilisant l’ensemble de l’axe rachidien sur un seul membre inférieur en phase d’appui. Même si l’on sait pas encore, faute d’ossements, s’ils possédaient déjà une lordose lombaire caractéristique des hominidés pour le positionnement au tronc de surplomber les hanches.

Les empreintes de pas découvertes à Laetoli (probablement Autralopithecus Afarensis) formant une piste tracée par plusieurs individus ayant traversé une plaine de cendre humide en Tanzanie du Nord, il y a environ 3,6 millions d’années, constitue la preuve qu’ils maitrisaient déjà une démarche « humaine », capables de marcher sans fléchir hanches et genoux… et possédaient des dents jugales adaptées à la mastication de végétaux contrairement à nos ancêtres simiens ! Cependant, ils possédaient encore de certains de leurs caractères, notamment des longs membres supérieurs leur permettant de continuer à grimper aux arbres et de s’y mouvoir aisément. Mais également un cerveau trois fois plus petit, des jambes encore courtes… et un museau !

Il y a 2,5 millions d’années, les calottes polaires descendant vers l’équateur, la surface des forêts denses et humides, habitats des grands singes, se réduit alors qu’augmentent les steppes. La diminution substantielle de la disponibilité des fruits abondants des forêts oblige les hominiens à se rabattre de plus en plus souvent sur des aliments des dépannage : racines, tubercules, bulbes et graines… Leur plus grande activité physique quotidienne consistant en une intense activité masticatoire ! Déjà dotés d’une bipédie avancée, les homos ont alors amorcé une grande révolution comportementale pour évoluer vers une alimentation plus carnivore et l’utilisation d’outils pour transformer leurs aliments. Et peut-être surtout, leur comportement est devenu moins individualiste pour partager nourriture, ravitaillement, tâches diverses et savoir-faire. L’ensemble de ces changements supposait une plus grande cohésion au sein des groupes entre individus avec un renforcement des liens affectifs et sociaux… et de nouvelles évolutions corporelles spécifiques.

Pour améliorer leur ordinaire alimentaire et mettre de la viande au menu, les successeurs des australopithèques ont du peu à peu développé des stratégies de prédation. Cependant, les meilleurs Homos actuels, tout comme leurs ancêtres, sont incapables de courir à plus de 37 kms/h plus de 20 secondes, alors qu’un léopard ou une antilope atteignent des vitesses deux fois plus véloces pendant 4 minutes. Leurs stratégies de chasse ne pouvaient donc pas reposer sur la vitesse, pas plus que sur leurs crocs (perdus par l’adaptation à la mastication …) ou la puissance de leurs griffes. Et les premières armes rudimentaires, comme des épieux, n’apparaitront qu’il y a 500 000 ans. Une première hypothèse repose sur le charognage, pratique courante en savane où les grands prédateurs ne prennent que les meilleurs morceaux. Encore faut-il se faire une place autour des restes de la carcasse. L’autre hypothèse, avancée notamment par Carrier, Bramble et Lieberman repose sur la pratique de la chasse à l’épuisement.

Cette stratégie ciblant un individu pour le séparer du troupeau, le pister et l’amener à s’échapper sans pouvoir se rafraichir en haletant, mêle des cycles de pistage en marchant à des phases de course jusqu’à ce que la température de l’animal atteigne un seuil fatal où il s’effondre. Avec une simple pierre un des chasseurs pourra alors l’achever sans prendre aucun risque… Pratiquée encore récemment dans différentes parties du globe, elle a été observée chez les Boschimans d’Afrique Australe, certains des peuples premiers d’Amérique ou les aborigènes d’Australie. Elle nécessite, outre ces capacités physiques d’endurance, une intelligence de chasse collective, un point d’eau pour reconstituer les réserves après la chasse et un habitat de steppes dégagé… Ces nouveaux comportements vont peu à peu sélectionner les individus les plus endurants selon deux grands critères :
Des adaptations myofasciales permettant de courir, en économisant l’énergie métabolique, sur de longues distances à des allures obligeant les quadrupèdes à passer du trot au galop léger
Des capacités de thermorégulation pour dissiper l’accroissement de chaleur corporelle alors que leurs proies passent en hyperthermie et s’immobilisent…

Afin d’étayer leurs hypothèses, les paléontologues ont étudié les preuves fossiles dont ils disposaient et, même si les archives fossiles à disposition sont peu nombreuses et parcellaires, ils ont systématiquement étudié et identifié certaines preuves de la présence de caractéristiques osseuses témoignant de la présence de quatre spécificités de la course d’endurance : énergétique, robustesse, stabilisation et thermorégulation (le tableau de synthèse ci-dessous regroupe l’ensemble de ces éléments).

Caractéristiques dérivées du squelette humain avec leurs rôles fonctionnel pour la course
CE/M indique les traits caractéristiques qui améliorent les performances de course d’endurance et de marche d’endurance, respectivement ; CE>M indique les traits qui apportent un bénéfice aussi bien à la course qu’à la marche, mais qui ont un effet supérieur pour la course d’endurance.

Aux évolutions anatomiques des australopithèques, on observe chez ses successeurs, homo habilis et homo erectus, un certain nombre de changements leur conférant des gains d’énergie pour la course. Les membres inférieurs humains possèdent de nombreux tendons longs et élastiques reliés à des fascicules musculaires courts formant autant de ressorts qui peuvent emmagasiner beaucoup de déformation lors de l’appui au sol, restituée au moment de l’impulsion. Au sein du fascia crural, le tendon d’Achille, qui forme une continuité avec l’aponévrose et les muscles plantaires à travers le calcanéum, le long fléchisseur de l’hallux, le tractus ilio-tibial et le muscle long péronier sont particulièrement impliqués dans ce mécanisme. On estime à 50% le gain en coût métabolique ainsi obtenu pour la course.

Courbe d’hystérésis type pour le fascia aponévrotique sujet à un cycle de charge-décharge.
Les deux courbes ne coïncident pas à cause de l’énergie dissipée par le tissu via des phénomènes non élastiques. La zone se trouvant sous la courbe de charge est proportionnelle au travail externe réalisé. La zone se trouvant sous la courbe de décharge est proportionnelle à l’énergie stockée de manière élastique lors de la charge et libérée lors de la décharge. La zone fermée (hystérésis) est proportionnelle à l’énergie dissipée. Si la zone d’hystérésis est petite, cela signifie que le fascia présente une forte capacité à stocker le travail mécanique externe sous forme d’énergie de déformation pour minimiser la dissipation d’énergie. Et donc à bien glisser…

Pour que ce mécanisme de ressort des membres inférieurs soit optimal, les pieds présentent des adaptations essentielles pour permettre la transmission de la déformation au moment de l’appui au sol. A partir d’homo Habilis, certaines caractéristiques comme un gros orteil définitivement adducté dans le sens du mouvement et une articulation calcanéo-cuboidienne permettant la limitation de la rotation entre l’arrière pied et le tarse antérieur permettant l’étirement passif des structures fasciales plantaires optimisent le ressort que constitue le pied lors d’une frappe médio-pied. En créant ainsi une lame/ressort global permettant le rebond du corps à chaque foulée, l’homme a développé, à l’instar des autres mammifères cursoriels mais en bipédie, une double allure fondée sur deux stratégies mécaniques différentes : pendulaire pour la marche, masse-ressort pour la course. Si cette voûte plantaire axée présente des caractéristiques adaptées aussi bien à la course qu’à la marche, elle apporte un gain plus important pour la course avec un renvoi d’énergie de l’ordre de 17% sur chaque appui.

Economie de la marche et de la course : une histoire de ressorts
Dans la marche, la jambe fonctionne comme un pendule inversé, élevant le centre de gravité dans la première moitié du cycle avant de le laisser redescendre dans la deuxième moitié. Dans la course, la jambe fonctionne plutôt comme un ressort ; elle se contracte lorsque le centre de gravité s’abaisse dans la première moitié de la foulée, ensuite elle se détend pour aider à pousser le corps vers le haut dans la deuxième moitié de la foulée puis le propulser dans un saut. Efficace pour la mécanique masse-ressort de la course, le système myofascial humain ne serait pas aussi bénéfique énergétiquement pour la dynamique de pendule inversé de la marche. On estime à 50% le gain en coût métabolique ainsi obtenu pour la course.

L’augmentation de la longueur des membres inférieurs chez homos Habilis et Erectus, de l’ordre de 10 à 20%, se révèle être un autre facteur évolutif majeur. Dès lors que le coût énergétique de chaque pas reste identique, cette longueur supplémentaire entraine un allongement de chaque enjambée avec une diminution substantielle du coût énergétique pour une même distance.

La vitesse de course chez l’homme est ainsi la combinaison de la longueur des jambes avec la dynamique des ressorts. Contrairement aux quadupèdes, la fréquence des foulées varie peu, l’accélération d’allure est la conséquence de l’allongement de la foulée par une augmentation minime de la contraction musculaire, aux vitesses de course d’endurance. Ce qui explique le pourcentage très élevé de fibres musculaires lentes chez les Homos, fortement oxydatives et donc résistantes à la fatigue, lui permettant des raids longs sans acidification lactique excessive.

Pour résister à ces alternances de compressions/tractions s’exerçant sur les structures, les surfaces articulaires se sont élargies pour répartir les contraintes cartilagineuses. Les Homos présentent des genoux, des hanches, des sacro-iliaques et un centre lombaire plus large comparativement à leur masse corporelle. Les diaphyses se sont également renforcées en s’épaississant pour augmenter leur résistance aux contraintes en flexion. D’autres adapatations géométriques comme le raccourcissement du col fémoral et la diminution de la largeur inter-acétabulaire ont permis de diminuer les bras de leviers horizontaux pour limiter les moments de flexion latéraux.

Reconstitution de femelles de trois espèces du genre Homo : H. erectus, H. neanderthalensis et H. sapiens. On notera la similitude générale des proportions corporelles, mais aussi le cerveau plus volumineux de la Néanderthalienne, la face plus petite et la tête plus arrondie de l’humaine moderne. Reconstitutions © 2013 John Gurche.

La fascination des mâles humains pour la démarche ondulante de leurs femelles, surtout montées sur des talons vertigineux, doit tout au défi que représente la stabilité de leur étrange choix de locomotion. En effet, la voie de la bipédie n’a pas été la première explorée par les mammifères qu’ils soient ou non capables d’endurance. Nos ancêtres vertébrés les plus lointains, comme les poissons, avaient développé une locomotion fondée sur une contraction alternée de leurs muscles intercostaux générant un mouvement ondulatoire de la tête à la queue, très efficace pour se propulser dans l’eau. Les premiers tétrapodes terrestres ont ensuite continué à utiliser cette ondulation en ajoutant des mouvements antéropostérieurs de leurs membres, dérivés des nageoires, pour amplifier leur action au sol. Les mammifères, montés sur leurs pattes, ont conservé cette alternance pour se propulser sur les membres antérieurs et postérieurs. Pour changer d’allure, entre le pas, le trot et le galop, les espèces cursorielles opèrent une transition d’un mécanisme pendulaire à celui d’un système masse ressort, pour rebondir selon une séquence répétitive, juchés sur leurs phalanges aux extrémités de leur membres. Par un étrange hoquet de l’évolution, nos ancêtres simiens n’ont pas suivi cette évolution et n’avaient pas cette capacité à « sautiller » sur le bout de leur membres. Capables de jaillir rapidement ou de se suspendre aux couverts végétaux, ils ont adopté une locomotion plus adaptative afin de répondre à la complexité de leur environnement forestier. Au gré des changements climatiques, avec la disparition des forêts tropicales, ils auraient fait des choix stratégiques privilégiant l’endurance afin de parcourir de grandes distances pour trouver des ressources végétales puis animales. La bipèdie a progressivement transformé le corps des homos en conservant les particularités les plus adaptées à la marche puis à la course comme nous l’avons vu précédemment. Cependant, nos gènes hérités des poissons ont continué à dicter les schémas moteurs qui leur avaient permis de tirer parti de l’ondulation horizontale de leurs prédécesseurs en la transfèrant dans la verticalité, bravant fièrement la pesanteur.

Intrinsèquement instable, la démarche bipède a fait évoluer la dynamique alternée des membres supérieurs autant que celle des membres inférieurs pour relever le défi de cet équilibre précaire. A la course, les couples de forces en jeu sont trop importants pour être stabilisés par les antagonismes musculaires, surtout pendant la phase de suspension. C’est la dissociation des différents étages qui, faisant alterner les rotations horizontales autour de l’ondulation de l’axe rachidien vertical de la tête au bassin, va constituer le contrebalant efficace. Tout en créant une dynamique spiralée, comprimant et décomprimant le tronc dans l’axe vertical à chaque foulée, elle active de manière rythmique les diagonales myofasciales coordonnant chaque membre inférieur avec le membre supérieur controlatéral.

La stabilité est ainsi assurée non seulement par le jeu musculaire des abducteurs et des rotateurs internes des membres inférieurs mais également par le mouvement alterné des membres supérieurs. Lorsqu’un des pieds est au sol, l’inertie générée par l’accélération du membre inférieur oscillant est contrecarrée par ce mouvement en opposition de phase des membres supérieurs. L’efficacité de cette alternance suppose plusieurs adaptations morphologiques :
Une taille mince permettant la dissociation entre le bassin et le thorax
Un cou allongé assurant celle du thorax et de la tête avec peu de connexion entre le crâne et la ceinture pectorale (seulement une portion cléïdomastoidienne du trapèze au lieu des rhomboïdes, des atlanto-claviculaire et des trapèzes supérieurs des chimpanzés)
Des épaules larges pour augmenter le bras de levier latérale du balancement des bras
Un certain nombre d’adaptation de la forme du crâne afin de favoriser l’horizontalité du regard en position érigée tout en compensant l’accélération inertielle de la tête entrainée en extension par le mouvement du reste du corps.
L’apparition du ligament nucal chez Homo Erectus, absent même chez les australopithèques mais que l’on retrouve chez les autres mammifères cursoriels (chiens, chevaux, lièvres) ou avec une tête massive comme les éléphants.

Deux lignes de contraintes (à la face postérieure) sur lesquelles s’alignent les travées collagéniques fasciales aponévrotiques des membres inférieurs :
– la première antéro-postérieure parcourant les érecteurs du rachis, le grand fessier, les ischio-jambiers, le triceps pour finir par l’aponévrose plantaire et le long fléchisseur sur les métatarsiens et les phalanges
– la seconde, stabilisatrice latérale, arrivant de la scapula opposée, passant en travers du Fascia Thoraco-Lombaire pour venir rejoindre, via la bandelette ilio-tibiale, les péronniers latéraux qui se terminent sur les bases des Vème et Ier métatarsiens et le cuboïde.

Dans le plan antéropostérieur, l’augmentation de l’inclinaison antérieure du tronc et de la tête déplaçant le centre gravité en avant des pieds, plus important à la course qu’à la marche, permet d’économiser de l’énergie de propulsion. En utilisant le jeu des ressorts myofasciaux qui emmagasinent l’énergie potentielle de cette projection. On trouve la trace de cette évolution mécanique dans les squelettes avec une augmentation de la zone d’attache sacrée et pelvienne des erector spinae et un élargissement du grand fessier. Au carrefour de ces deux muscles, le fascia thoraco-lombaire, qui s’est verticalisé chez l’humain, pourrait être un intégrateur mécanique essentiel à la stabilisation de la lordose lombaire à moindre coût énergétique et jouerait un rôle central dans la transmission des ondes montantes et descendantes entre les membres inférieurs et le tronc vers la tête.

Enfin, à ces adaptations anatomiques s’ajoutent le développement de canaux semi-circulaires, notamment le postérieur nettement plus grand chez Homos erectus que chez les grands singes et les australopithèques. En détectant la vitesse de tangage, de roulis et du mouvement de lacet (se manifestant par l’oscillation de la queue de cheval chez les individus aux cheveux longs), ils assureraient le contrôle neurosensoriel nécessaire à contrôle gyroscopique céphalique pour maintenir la stabilité visuelle.

Illustration des différentes formes corporelles de base entre A. Afarensis (à gauche) et H. Erectus (à droite) mettant en évidence les caractéristiques qui apparaissent chez H. Erectus améliorant ses performances de course d’endurance. Les caractéristiques entre parenthèses ne sont pas encore connues (dans le ied) ou relèvent de reconstructions hypothétiques. Notez que la position de l’épaule (indiquée avec un *) chez H. Erectus n’est pas résolue à l’heure actuelle (Modifié par Bramble et Lieberman)

La thermorégulation et hydratation : un enjeu vital dans un environnement aride et chaud

Outre la posture érigée qui diminue la surface d’exposition corporelle, le développement des glandes sudoripares sur l’ensemble de notre revêtement corporel, et la disparition de notre fourrure, a permis à Homo Erectus de se mouvoir en pleine chaleur. La sueur en s’évaporant refroidit toute la surface cutanée et les réseaux capillaires sous jacents, isolant l’organisme de la chaleur ambiante. La troisième spécificité propre à homo habilis et homo erectus est la conformation nasale parfaitement adaptée à la ventilation en milieu sec. Les os turbinaux, en augmentant la surface de contact entre les muqueuses et l’air et en générant des tourbillons chaotiques, participent à l’humidification de l’air inhalé et retenant l’eau lors de l’expiration. Cette particularité permet une ventilation efficace sans dessécher les alvéoles pulmonaires, maintenant ainsi des paramètres respiratoires optimaux… en nous affublant d’un appendice plein de charme ! Comme l’a bien montré J Talmant, le nez fonctionne comme une tuyère inversée accélérant le flux aérien en filtrant l’air ambiant avec une dépense minime d’énergie supplémentaire des muscles ventilatoires. Seule condition pour que cette fonction soit optimale : que l’orifice buccal soit clos et la langue en position haute, sa pointe affleurant la papille rétro-incisivaire du maxillaire. En conditions fonctionnelles, cette conformation ventilatoire est conservée chez les homos aussi bien à la marche qu’à la course, tant que l’on reste à des allures compatibles avec l’endurance, en dessous du seuil anaérobie.

Conséquence clinique
Lorsque la pointe de la langue affleure la papille rétro-incisivaire, ses muscles supérieurs augmentent leur tonicité et sa base avance et libérent l’espace oro-pharyngé. Diminuant ainsi les frictions inspiratoires et expiratoires, cette posture linguale permet une inspiration nasale permanente bouche fermée et un maintien de la lordose cervicale à moindre coût énergétique. A l’inverse, si les muscles linguaux supérieurs perdent de leur activité tonique, la base de la langue recule dans l’oropharynx obligeant la tête à avancer pour dégager l’espace ventlatoire rétro-lingual et conserver le calibre des voies aériennes supérieures. La courbure cervicale apparaitra dès lors en rectitude ou en délordose adaptative. Ainsi, la posture linguale est fortement corréler avec celle de la colonne cervicale, qui affectera à son tout l’ensemble de la posture corporelle et de la dynamique rachidienne.

Globalement, l’ensemble de ces adaptations à la course ont contribué à l’évolution définitive d’homo sapiens vers une bipédie permanente, à la différence des autres bipèdes chez qui elle n’est qu’intermittente. Ces modifications anatomiques permettant la dissociation membres inférieurs-pelvis/membres supérieurs-thorax/Tête avec une taille fine et un cou allongé sont la conséquence d’adaptations fonctionnelles locomotrices qui ont offert à nos ancêtres des opportunités nouvelles. La libération de l’épaule et du membre supérieur a permis une spécialisation très fine de la main et la dissociation du rythme respiratoire de celui de la locomotion, a créé les conditions prédisposantes au développement de compétences phonatoires nécessaires au langage articulé. C’est ainsi tout le développement cognitif d’homo sapiens et son évolution culturelle complexe qui, en raison de cette adaptation verticale improbable, sont consécutives à notre extraordinaire capacité pour la course d’endurance. La question ne se pose donc pas de savoir si nous sommes capables de courir mais plutôt pourquoi nous en sommes arrivés à en douter !

Au moment où les humains s’affranchissent définitivement de l’attraction terrestre en conquérant l’espace, le système fascial des premiers spationautes est confronté à un nouveau défi. L’environnement microgravitaire, beaucoup plus encore que la sédentarité à l’origine de la dysévolution théorisée par Lieberman, devrait entrainer les corps vers une nouvelle évolution… pleine de surprise.

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    Mécanobiologie et réseaux mitochondriaux : la mécanique au cœur de la régulation énergétique

    Auteurs :
    Anne Sophie Armand, Enseignante-Chercheuse en biologie, Université Paris Cité
    Raphaël Baye, Ostéopathe
    Christophe Chiquet, Ostéopathe

    Les thérapies manuelles, largement utilisées en rééducation ou en traitement de première instance comme l’ostéopathie, la chiropractie ou la manipulation fasciale, ont longtemps cherché à établir leur légitimité scientifique en faisant appel à des modèles biomécaniques. A.T. Still, fondateur de l’ostéopathie dont nous célébrons les 150 ans, en avait d’ailleurs fait un fondement de son approche thérapeutique, se comparant à un ingénieur envisageant le corps humain comme un ensemble mécanique à rééquilibrer. Il est finalement apparu que la biomécanique opérant à l’échelle macroscopique des tissus, n’était pas suffisante pour appréhender les interactions systémiques complexes auquel la main du thérapeute se confronte lors de son action sur le corps de ses patients. Il fallait à la fois tenir compte de l’influence omniprésente et multiple des fonctions neurologiques qui câble l’ensemble de l’organisme et des régulations endocriniennes qui agissent aussi bien localement qu’à distance et rythme la vie des organismes complexes. Puis, au décours du XXIème siècle, avec les progrès technologiques permis par le numérique, la mécanobiologie a permis de révéler l’expression des forces mécaniques au sein du vivant. En révélant leur influence aux niveaux micro et nanoscopiques 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 aussi bien extra et intra-cellulaire jusqu’au noyau cellulaire 10, 11, 12, 13, sanctuaire génétique, elle en a dévoilé l’omniprésence en biologie.

    Base moléculaire de la mécanosensibilité : Les signaux mécaniques sont transmis au noyau via les intégrines et le complexe d’adhésion focale puis par l’intermédiaire des composants du cytosquelette au nucléosquelette. Les zones en jaune indiquent les trajets de transmission des signaux de mécanotransduction. D’après 15

    En à peine trente ans, la mécanobiologie a fait la démonstration de la mécanosensibilité 14, 15, 16 comme fonction régulatrice essentielle à la vie cellulaire. Dans un premier temps, elle nous a montré l’implication de la membrane cellulaire et de protéines spécifiques transmembranaires comme les intégrines se liant aux éléments matriciels (collagènes, élastine, protéoglycanes), les cadhérines en interaction avec les membranes basales, ou les diverses protéines des jonctions serrées assurant la liaison intercellulaire, essentielles notamment aux structures épithéliales. Très vite, il est apparu que ces protéines membranaires ou transmembranaires, étaient en continuité avec l’espace intra-cellulaire et son cytosquelette composé de structures filamentaires fugaces comme les microtubules ou plus durables comme les filaments intermédiaires et les micro-filaments d’actine et de myosine. Ce réseau mécanique construit un ensemble dynamique, véritable continuum intracellulaire, communiquant mécaniquement avec l’ensemble des organites y compris le noyau dont les gènes expriment directement les contraintes mécaniques lorsqu’il est tracté ou comprimé. En réponse, elles expriment certains éléments impliqués dans les mécanismes de construction ou de résorption matricielle afin d’adapter le micro-environnement qu’elles habitent.

    Dynamique des réseaux mitochondriaux 17

    Cette mécanosensibilité des cellules désormais bien acceptée, il restait à en découvrir les interactions avec le métabolisme, tout particulièrement énergétique dont les mitochondries 17 occupent un rôle central, essentiel à leur adaptabilité au stress environnemental. Un premier article publié en 2022 par l’équipe du Pr Sirio Dupont 18 étudié ces propriétés mitochondriales en réponse à une modification de l’environnement matriciel. Ces chercheurs ont observé une augmentation de l’absorption de la cystine, induisant une activation du métabolisme du glutathion dans les cellules disposées sur une MEC molle. De même les cellules dont les propriétés contractiles ont été réduites ou inhibées, simulant ainsi les conditions d’une MEC molle, ont réagi de la même manière. En présence de conditions de contractilité réduite, ils ont également observé une augmentation générale de la production d’espèces réactives de l’oxygène (ERO). Ainsi l’augmentation du métabolisme du glutathion sur un support matriciel mou se trouve bien associé à une augmentation des ERO. Une analyse plus fine a montré par ailleurs que si l’on observe une augmentation des ERO aussi bien cytoplasmiques que mitochondriales, l’origine de la réponse cellulaire à une MEC molle est mitochondriale. Ils ont démontré également que la capacité respiratoire basale n’était pas altérée et que la phosphorylation oxydative n’était pas significativement atteinte mais, qu’en revanche, lorsque la respiration est accrue et que l’activité de NRF2 augmente, leur capacité respiratoire maximale se trouve diminuée. Enfin, les réseaux mitochondriaux se trouvaient altérés en cas de MEC molle avec une activation des processus de fission mitochondriale, une perturbation de la régulation des ERO et de NRF2, induisant une réponse anti-oxydante. L’origine de la réponse mitochondriale à une MEC molle serait liée à la formation de microfilaments d’actine du cytosquelette autour du réseau mitochondrial. En effet, des cellules en contact avec une MEC molle présentent une contractilité réduite du cytosquelette d’actomyosine sous-membranaire, mais la formation d’actine-F péri-mitochondriale, sous l’impulsion des protéines Spire1C et Arp2/3, ce qui favorise la fission des mitochondries. L’ensemble de ces données montraient une interaction entre les caractéristiques mécaniques matricielles et leurs conséquences métaboliques avec une cascade informationnelle agissant sur les structures cytosquelettiques, les réseaux mitochondriaux et le métabolisme énergétique cellulaire, notamment en cas de mobilisation accrue en réponse à un stress métabolique.

    Moteurs moléculaires permettant le déplacement des mitochondries 17
    Les protéines motrices associées aux microtubules, la dynéine (en violet) et la kinésine (en rouge), forment le complexe moteur/adapteur avec les protéines Milton/TRAK1/2 (en jaune) et Miro (en orange), ces dernières étant insérées dans la membrane externe mitochondriale. La dynéine assure le transport vers le pôle − des microtubules, la kinésine vers le pôle +.
    Les mitochondries peuvent également se déplacer le long des microfilaments d’actine grâce à différentes formes de myosine.

    L’ensemble de ces résultats expérimentaux, qui ne portent que sur des cellules tumorales, ne répond certes pas encore aux multiples interactions métaboliques et hormonales auxquelles sont soumises l’ensemble des cellules de l’organisme. Cependant, ils commencent à redessiner un paysage biologique beaucoup plus complexe que celui exploré jusqu’à présent par la biochimie. Et surtout, ils amènent, en intégrant les forces mécaniques, à ne plus réduire les cellules à de simples colonies agglutinées dans une mise en culture expérimentale mais à toujours les envisager dans leur micro et macro-environnement matriciel. Si cela n’invalide pas totalement 150 ans de culture biologique basée quasi-exclusivement sur les forces électromagnétiques biochimiques, les auteurs nous invitent à réinterpréter systématiquement les conclusions des études en fonction du cadre dans lequel elles sont menées. De ce fait, il semble que la définition d’un nouveau système de communication cellulaire fondé sur la réception et la réponse aux forces mécaniques constitue d’ores et déjà une nécessité afin que les chercheurs et les enseignants l’intègrent à leur cadre conceptuel. Déjà un certain nombre de chercheurs ont assimilé une telle approche dans leurs problématiques de recherche que ce soit sur des aspects fondamentaux 19, 20,21 aussi bien, comme les auteurs de cet article 18 que pour élargir l’horizon des prises en charge corporelles en rééducation 22, en oncologie 23, dans la compréhension des processus cicatriciels 24, 25, 26, 27 ou en médecine spatiale 28. Enfin, nous suggérons que ce nouveau cadre conceptuel et expérimental mécanobiologique microscopique, complété par les avancées anatomiques macroscopiques du système fascial, doit inciter les thérapeutes manuels à se confronter à ces nouvelles connaissances pour réinterpréter les modèles actuellement en vigueur dans l’enseignement de leurs pratiques.

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    Mécanosensibilité cellulaire : ces rythmes qui animent et s’impriment dans les fasciae

    C’est avec un grand plaisir que je vous partage un lien pour un article que j’ai copublié présentant un nouveau modèle mécanobiologique conceptualisant l’influence des rythmes sur le système fascial et l’interstitium. Se fondant sur les découvertes récentes de la mécanosensibilité cellulaire, un certain nombre d’études abordent l’évolution des tissus hépatiques vers la fibrose au cours d’un certain nombre de pathologies en analysent leurs conséquences sur les structures matricielles aussi bien que l’altération des propriétés mécaniques du foie. Elles montrent les interactions complexes entre les facteurs biologiques et les forces mécaniques au sein de cet organe et fournissent un nouveau cadre théorique mécanobiologique pour l’explication des phénomènes biomécaniques perçus par les praticiens manuels.

    Diaphragme et rythme ventilatoire

    Leurs travaux effectués aussi bien sur les tissus parenchymateux que sur le fascia spécifique du foie, la capsule de Glisson, apportent un éclairage nouveau sur l’évolution physiopathologique d’un organe dont les cellules, confrontées à des conditions altérées, transforment leur environnement matriciel. Or, en raison de la relation anatomique intime entre le foie et le diaphragme participant à la rythmicité ventilatoire aussi bien que locomotrice, l’augmentation de la rigidité de cet organe volumineux va s’imprimer dans la dynamique de la trame myofasciale. Si ces altérations tissulaires perdurent, nos cellules constructrices de la matrice extracellulaire, les fibroblastes, vont modifier les lignes de collagènes pour adapter les tissus aux nouvelles conditions mécaniques. Bien évidemment, si notre proposition de modèle est centrée sur le foie, en raison de l’attention toute particulière que lui accordent les chercheurs, les interactions mécanobiologiques cellules/matrice peuvent siéger au sein d’autres organes ou structures anatomiques avec des conséquences biomécaniques chacune spécifique.

    Rythmes et morphogenèse

    Par ailleurs, la dimension temporelle est également essentielle puisque si les conditions mécaniques rythmiques sont altérées intra-utéro, lors de l’accouchement ou dans la prime enfance, elles vont conditionner la croissance osseuse, principalement en cas d’ossification enchondrale, et fasciale s’inscrivant dans la structure du futur adulte. Lorsqu’elles interviennent plus tardivement, même si elles s’impriment moins structurellement, elles vont néanmoins constituer la source de tensions nécessitant des adaptations de la posture et des stratégies ventilatoires et locomotrices, à l’origine de tensions et d’adaptations myofasciales. Localement, les concentrations de contraintes consécutives, stimulant exagérément les mécanorécepteurs, seront la cause des douleurs ressenties et perçues par les patients fondant le plus souvent leurs plaintes.

    Comprendre les rythmes pour lire les corps

    Cliniquement, cette conception spatio-temporelle du système myofascial constitue ainsi un véritable mode d’emploi permettant de lire l’histoire mécanique du corps. Sa prise en compte dans l’analyse clinique du patient permettra ainsi d’en appréhender les enjeux et de proposer des stratégies intégratives complexes où les effets des forces mécaniques se mêleront aux données biologiques. Elle prend dès lors sa place dans une prise en charge multidisciplinaire où l’ensemble des praticiens dialogueront, chacun avec leurs point de vue spécifique, pour offrir au patient des perspectives thérapeutiques répondant à son attente immédiate et au long cours !

    Résumé
    Ces quarante dernières années, les progrès des technologies numériques ont permis aux sciences de la santé de réaliser des progrès considérables dans la compréhension des phénomènes du vivant. Loin de la simple approche clinique de l’Evidence Based Medecine se bornant à des corrélations entrées/sorties pour guider les praticiens dans un cheminement thérapeutique standardisé algorithmique, les approches complexes théorisées dès le milieu du XXème siècle permettent d’apporter une cohérence jusqu’ici inaccessible aux processus physiopathologiques. Au début de ce XXIème siècle, l’irruption des forces mécaniques dans l’étude du vivant en a été une des avancées majeures à l’origine de la mécanobiologie. Ces dernières années, le foie a été le centre de l’attention de nombreuses équipes afin d’explorer les propriétés mécanobiologiques des cellules hépatiques aussi bien que leurs interactions mécaniques avec leur environnement matriciel. Étudiant la modification de comportement des cellules et de la structure de leur environnement au cours d’un certain nombre de pathologie, leurs travaux ont fait apparaitre un certain de processus révélant les causes de l’altération des propriétés mécaniques de l’organe déjà identifié comme facteur de risque de certaines maladies du foie. Nous proposons que ces modifications survenant graduellement, déjà perçues et décrites par les thérapeutes manuels, altèrent la dynamique du système fascial par l’intermédiaire de la relation intime reliant le foie au diaphragme. Ce dernier, véritable paroi fasciale interne mue de manière rythmique, relayant les contraintes hépatiques altérées sur l’ensemble du système fascial par l’ensemble de l’appareil ventilatoire au sein duquel il est intégré.

    SLYM, une nouvelle structure fasciale méningée

    2023 commence avec une publication (1) de la revue Science de premier plan, cosignée par des chercheurs de deux équipes des universités de Copenhague et de Rochester, montrant la découverte d’une quatrième membrane méningée qu’ils nommée SLYM (subarachnoid lymphatic-like membrane). 


    Divisant l’espace arachnoïdien en deux sous-espaces, SLYM serait le siège d’une activité circulatoire interstitielle importante au sein des espaces méningés, à l’instar des espaces interstitiels des organes thoraco-abdominaux déjà étudiés par Theise et son équipe (2, 3). Ces structures interstitielles assurent ainsi des rôles essentiels d’échanges Cellules/Matrice nourriciers, immunitaires ainsi qu’une fonction morphogénique pour les organes qu’elles enveloppent intimement.

    1- Møllgård, K., Beinlich, F.R., Kusk, P., Miyakoshi, L.M., Delle, C., Plá, V., Hauglund, N.L., Esmail, T., Rasmussen, M.K., Gomolka, R.S., Mori, Y., & Nedergaard, M. (2023). A mesothelium divides the subarachnoid space into functional compartments. Science, 379, 84 – 88.
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    De Corporis Fabrica II : L’interstitium au coeur de la santé fasciale

    La matrice interstitielle pour glisser

    Aussi novatrice que soit cette description du système myofascial, l’aspect le plus déterminant des travaux récents sur les fasciae concerne sans doute les espaces interstitiels qui constituent la partie liquidienne de la MEC intercalée entre chacune des couches fasciales. En effet, les nouvelles méthodes de dissection évoquées précédemment non pas seulement permis de montrer la réalité de couches fasciales distinctes mais également de faire apparaitre les lames liquidiennes s’immisçant entre elles : le tissu conjonctif lâche (TCL).

    Lames interstitielles de Tissu Conjonctif Lâche – Source : « Atlas fonctionnel du système fascial humain » de la Pr Carla Stecco

    Prélevés et analysés au microscope, des échantillons de TCL ont montré qu’il consiste en un gel de substance fondamentale fortement aqueux structuré par des protéoglycanes (PG) ou un glycosaminoglycane (GAG), l’acide hyaluronique (AH).  A l’instar des éléments matriciels membraneux composée d’éléments fibreux (majoritairement collagènes et élastine), le TCL est secrété par des fibroblastes en grande partie en réponse aux stimulis mécaniques qu’ils perçoivent 1, 2. La nature différente des composants secrétés dépendrait du type de contraintes auxquels ils réagissent, les fibroblastes construisant les membranes étant sensibles aux tractions, ceux structurant les espaces interstitiels aux compressions et aux cisaillements des tissus. Les microbiologistes spécialistes de la MEC ont découvert de nombreux PG intervenant dans la consistance matricielle qui, s’ils jouent un rôle mécanique essentiel, assument également des fonctions de signalisation impliqués dans la régulation de divers processus cellulaires 3. Ce qui laisse entrevoir un « dialogue » mécanosensoriel entre les cellules et leur microenvironnement. Par ailleurs, l’AH 4 semble posséder des propriétés rhéologiques interstitielles essentielles au glissement interfasciaux et l’équipe de Carla Stecco a mis en évidence une variété de fibroblastes sécrétant spécifiquement de l’AH, les fasciacytes 5. Capable de créer de grandes structures polymériques capturant les molécules d’eau, il possèderait des propriétés lubrifiantes exceptionnelles nécessaires aux glissements des couches membraneuses entre elles 6, 7. La consistance visco-élastique du TCL qui fluctue de liquide à celle d’un gel plus ou moins visqueux, comme la sécrétion et la polymérisation de l’AH, dépendent des conditions électrochimiques matricielles locales 8, 9, notamment de la température ou du pH, mais également, en raison de la mécanosensibilité des fibroblastes, des forces qui parcourent la MEC.

    La mécanosensorialité au cœur de la danse fasciale

    Si les glissements des couches fasciales entre elles sont nécessaires aussi bien à l’animation et à la coordination de système myofascial de l’enveloppe corporelle, la sensibilité mécanique est un aspect central indispensable à la régulation de cette chorégraphie. Cette mécanosensorialité se situe à chaque niveau d’organisation puisqu’elle implique la mécanosensitivité des cellules 10 communiquant avec leur microenvironnement et la mécanoréception des tissus dont une multiplicité de capteurs fournit les informations proprioceptives et tactiles au système neuro-musculaire. Au fur et à mesure de l’évolution, à l’instar des cellules, les tissus se sont dotés de différents type de récepteurs disséminés dans l’ensemble du réseau fascial assurant la perception de toute une palette de stimuli nécessaire au contrôle du mouvement. Comme l’a montré Schleip 11, les modèles de régulation proprioceptifs ne recensent qu’une partie limitée des capteurs impliqués dans la régulation de la posture et du mouvement. Les récepteurs de Golgi, réagissant à la traction, ne sont par exemple étudiés que pour leur présence au sein des tissus tendineux alors qu’ils semblent être disséminés dans l’ensemble des tissus fasciaux. Les récepteurs de Pacini/Paciniformes comme ceux de Ruffini réagissent à la pression, fugace pour les premiers, prolongée pour les seconds sont présents dans nombre de structures fasciales et leur répartition semble liée aux fonctions spécifiques assumées par ces tissus. Plus intéressant : l’étude d’un nerf spécifique d’un muscle, comme le nerf tibial, montre qu’il contient trois quarts de fibres sensitives pour un quart seulement de motrices et surtout que si l’on recense des fibres I et II affectées aux récepteurs mentionnés précédemment, on dénombre quatre fois plus de fibres III et IV véhiculant l’information capteurs quasiment ignorés par les chercheurs. Ces récepteurs semblent être des capteurs interstitiels présents dans presque tous les tissus fasciaux, notamment dans le périoste, pour lesquels le Pr Schleip propose la dénomination de récepteurs tissulaires myofasciaux interstitiels. Impliqués aussi bien dans la thermo et la chémoception que dans la mécanoperception, ils réagiraient aux modifications de la vasodilatation (notamment l’extravasation plasmatique) comme aux mouvements articulaires et à l’étirement cutanée et fascial. Ils déclencheraient également des réponses neurovégétatives avec des modifications de la fréquence cardiaque, de la tension, de la respiration.

    Comme les fasciae longtemps ignorés en raison du manque d’intérêt qu’ils suscitaient auprès des anatomistes, les récepteurs mécaniques qu’ils abritent n’ont fait que peu l’objet d’investigations scientifiques. L’évolution des conceptions fonctionnelles de l’appareil locomoteur, fondés jusqu’ici sur un modèle discret de contrôle articulaire par le système neuro-musculaire, doit prendre en compte l’ensemble de ces récepteurs dans le continuum myofascial de l’enveloppe corporelle. La continuité tissulaire de ce réseau s’accompagnant d’une continuité sensorielle dont la dissémination des récepteurs varie selon les fonctions assumées par chaque région. En superficie, la dissociation sensibilité tactile/proprioception assurée structurellement par les espaces créent par les retinaculum entre la peau et les fascias superficiel et profond permet d’individualiser la sensibilité tactile et de la proprioception, la perception de l’environnement et le mouvement. Sauf dans les régions en contact direct avec l’environnement au niveau plantaire et palmaire où les deux structures fusionnent pour, semble-t-il apporter la meilleure connexion à l’environnement. La double nature des contraintes mécaniques, en traction et en pression, fait également l’objet de mécanorécepteurs différents dont l’importance de la présence au sein des tissus dépend là aussi des nécessités fonctionnelles. On peut ainsi observer que dans les jonctions myotendineuses les organes tendineux de Golgi sont plus présents aux confins du muscle alors que les corpuscules de Pacini deviennent plus nombreux quand on s’en éloigne. Enfin, la multiplicité des capteurs interstitiels apporte une réactivité neuro-végétative essentielle à la régulation liquidienne autant locale que générale : impliquée dans les processus vaso-dilatatoires locaux aussi bien que dans la régulation de la pression artérielle ou la fréquence cardiaque.

    Densification : la double vie des fibroblastes

    L’illustration la plus remarquable de cette interaction mécanique entre les niveaux cellulaires et tissulaires est certainement le développement des retinaculum, tout particulièrement pendant les premières années de la vie où l’enfant acquiert ses compétences locomotrices. À la naissance, l’enveloppe corporelle présente déjà sa structure multicouche, les contractions des muscles lors des mouvements intra-utérin du bébé ayant déjà stimulé l’action fibroblastique façonnant l’axe des trames collagènes. Cependant, les fasciae péri articulaires restent relativement informes sans organisation, ce qui ne permet pas au jeune humain de marcher et encore moins de courir. La découverte et l’exploration du monde extra-utérin soumis à la gravité vont peu à peu mettre son système myofascial à l’épreuve des contraintes. Ses fibroblastes vont construire lentement, surtout pendant les trois premières années de sa vie aérienne, des réseaux péri-articulaires de trames collagéniques denses, les retinaculum, destinés à créer des « rails » fonctionnels de maintien antigravitaire. En interaction permanente avec son système neuro-musculaire, cette armature fasciale lui permet d’acquérir progressivement les capacités visco-élastiques spécifiques nécessaires au maintien de son squelette axial (vers 6 mois), de se tenir debout (vers 1 an) puis de marcher de manière sûre pour enfin posséder l’élasticité essentielle à l’impulsion des sauts de la course. Spécifique aux humains, la locomotion bipède tire parti des propriétés élastiques tissulaires de ce réseau de densification des retinaculum : moins performante en puissance et en vitesse que la quadrupédie des autres mammifères, elle lui confère une économie énergétique adaptée à ses exceptionnelles capacités d’endurance 12.

    Cependant, cette capacité de construction des fibroblastes en réponses aux contraintes mécaniques si nécessaires à la croissance du corps présente une face sombre… En effet, l’action de ces bâtisseurs infatigables ne s’arrête pas à l’âge adulte mais se perpétue tout au long de la vie de l’organisme 13,14. Réagissant aux modifications du microenvironnement occasionnés par les processus inflammatoires 15, que celui-ci soit lié à une agression traumatique locale (entorse, fracture, contusion…) ou à des modifications métaboliques plus générales médiées par des stimuli humoraux (notamment le facteur de croissance TGF-β se coordonnant avec d’autres plus spécifiques tels que CTGF, PDGF, NGF et IDF 1…), les fibroblastes vont activer leur production matricielle. Ne répondant pas aux stimulations mécaniques fonctionnelles, ils vont sécréter ou résorber les composants matriciels aussi bien membraneux (principalement des fibres de collagènes) que liquidien (PG et AH 16) reconfigurant la MEC de manière anarchique que l’on peut observer au microscope 17, 18.  Si les conditions inflammatoires locales, normalement transitoire dans un développement cicatriciel normal, perdurent, ce remaniement matriciel va altérer durablement la structure tissulaire locale : on parle alors de fibrose.

    Rigidification matricielle lors du vieillissement, d’un processus cicatriciel ou d’une atteinte tumorale 17

    Aspects cliniques de la densification pathologique

    Modifiant les propriétés mécaniques du tissu fascial et la qualité de ses glissements, la fibrose se manifeste cliniquement comme une densification locale détectée assez facilement par la main des thérapeutes manuels. Perçue comme une aspérité, un « grumeau » dans la fluidité générale du système fascial, la difficulté pour le praticien tiendra moins à sa capacité à déceler cette densification qu’à sa faculté à identifier la zone où elle se situe 19, 20. En effet, générant localement une concentration de contraintes, cette densification fibrotique va altérer la transmission des forces à distance, particulièrement par l’intermédiaire du réseau des retinaculum. Peu à peu, elle va modifier toute la mécanique de la toile fasciale et la mécanoperception entrainant une modification des stratégies locomotrices. Au cours du temps, le système va s’adapter en trouvant un nouvel équilibre mais en générant un certain nombre de points de tension, densifications secondaires qui vont à leur tour générer des surcontraintes et activer des mécanorécepteurs distants. A terme, lorsque dans une zone fasciale, l’activation sensorielle de ces récepteurs devient trop intense et dépasse le seuil nociceptif, elle devient douloureuse. On parle alors de lombalgie, de cervicalgie, de talalgie, toutes ces algies qui rendent notre corps tout à coup insupportable, étranger et le mouvement si pénible…

    Il apparait ainsi évident que la zone douloureuse, symptomatique, le réseau de tension, les densifications secondaires et celle à l’origine du processus constitue un jeu de piste que le praticien devra suivre afin d’apporter une solution aux plaintes du patient. Cependant, il serait vain de rechercher manuellement les zones densifiées, la palpation exhaustive de la seule surface corporelle prendrait trop de temps. De plus, cela supposerait que seule celle-ci impliquée dans ces processus. Or, elle ne représente que la partie superficielle, la plus abordable, de notre réseau fascial affectée à la locomotion. Comme les icebergs dans l’océan, la partie la plus importante se trouve immergée. Chacun de nos organes, notamment nos viscères et notre système nerveux, à l’instar de l’enveloppe corporelle locomotrice, sont des constructions matricielles complexes susceptibles également d’être le siège de densifications. Préservant leur intégrité et les rattachant à l’enveloppe corporelle, ils sont enveloppés de fasciae d’investissement et d’insertion, comme les fasciae épimysiaux et aponévrotiques de nos muscles, qui les relient au réseau tensionnel fascial 21. Cependant, la sensibilité intéroceptive propres à ce réseau profond nous est moins perceptible, n’affectant que peu notre proprioception. Ainsi lorsque les fibroses affectent nos organes, les concentrations de contraintes qu’elles induisent vont se propager silencieusement, par ce réseau fascial enfoui, jusqu’à l’enveloppe corporelle. C’est par elle que nous percevrons les stimulis nociceptifs, douloureux, qui résultent des tensions causées par ces fasciae internes. Nombre de douleurs que nous percevons à la surface de notre corps ne sont ainsi bien souvent que des sensations projetées pour lesquelles le praticien devra apprendre à « lire les corps ». Pour cela, il devra maitriser l’ensemble de l’anatomie fasciale et intégrer le réseau complexe des fasciae internes, viscéraux voir méningés et l’interaction mécanosensorielle complexe qu’ils sous-tendent. Mais peut-être avant tout chose, c’est l’histoire mécanobiologique de chacun des événements susceptibles d’être une source dysfonctionnelle de stimulation des fibroblastes, à l’origine de la densification, qui devra être interrogée. Mêlant les connaissances anatomiques, biologiques et histologiques des tissus et la compréhension des mécanismes physiopathologiques menant de la dysfonction à la fibrose, cette investigation corporelle quasi psychanalytique est une aventure thérapeutique conjointe, à la recherche des zones intimes où se nouent les densifications fasciales à l’origine de la plainte du patient. Alliant ces compétences thérapeutiques à sa maîtrise technique et à son expérience, le praticien manuel contribuera ainsi à lui permettre de retrouver la fluidité de son corps et le plaisir de faire danser ses fasciae.

    Bibliographie

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    De Corporis Fabrica I : L’architecture fasciale de la matrice extra-cellulaire

    Des origines de la Matrice Extra-Cellulaire…

    Comme le rappelle le paléontologue Neil Shubin dans son livre fascinant consacré aux étapes cruciales de l’évolution des corps « au commencement était le poisson », si les 4,5 Ga de l’histoire de la vie sont replacés sur une échelle d’une année, les premiers êtres pluricellulaires apparaissent en octobre …. et l’homme le 31 décembre ! De janvier à septembre, 3,5 Ga pendant lesquels, les conditions inhospitalières de la Terre des origines ont concouru à engendrer, à partir de la matière inorganique originelle, toute une multitude de matériel moléculaire préalable à la vie. Les premières cellules sont nées de cette évolution abiotique, toutes tirant leurs ressources énergétiques des mêmes processus d’oxydo-réduction 1 (transfert d’électron couplé à des protons).  Se livrant une lutte sans merci pour la survie, des multitudes de formes de vie unicellulaires n’ont cessé de proliférer en expérimentant les voies les plus improbables, sélectionnant les meilleures d’entre elles, prenant des formes inimaginables dont la plupart ont disparu. Toutes ces « expériences évolutives » successives ont permis un foisonnement extrêmement diversifié d’outils qui ont fourni aux cellules tous les matériaux nécessaires à l’élaboration des premières enceintes multicellulaires. Selon Kloareg et al 2, « la multicellularité a évolué au moins 25 fois au cours de l’histoire évolutive des eucaryotes, mais seule une poignée de ces lignées multicellulaires comprend ce qui pourrait être considéré comme des organismes multicellulaires complexes. ».

    Suite à la Grande Oxydation, survenue il y a 2,35 Ga, déclenchée par l’action des cyanobactéries photosynthétiques et à l’endosymbiose des mitochondries 3, 4 fournissant aux cellules eucaryotes des ressources énergétiques démultipliées, le vivant va changer d’échelle vers -850 millions d’années. Répondant à la pression de sélection intense qui s’exerçait sur elles, les cellules auraient trouvé avantage à se rassembler en développant une Matrice Extra-Cellulaire (MEC) pour optimiser leurs ressources en nutriments et échapper à la prédation en créant les premiers organismes multicellulaires 5. L’expansion de la MEC a joué un rôle central dans l’acquisition de la multicellularité complexe, définie comme possédant un plan corporel macroscopique composé de plusieurs types de cellules et construit par des programmes de développement impliquant division et différenciation cellulaire. Fournissant aux cellules un support pour s’arrimer et/ou s’agréger entre elles, les MEC qu’elles sécrètent forment des réseaux supramoléculaires complexes, à la fois rigide et flexible, les protégeant mécaniquement de l’écrasement aussi bien en milieu aquatique contre la pression de l’eau 6 que terrestre, antigravitaire 7. Tout en aménageant des espaces liquidiens propices aux échanges nutritifs et à l’élimination des déchets. Elles sont également très impliquées dans la signalisation essentielle au développement et à la migration cellulaire et aux réponses de défense, particulièrement l’immunité innée 8, 2.

    Schéma de l’évolution de la MEC chez les Métazoaires 5. 

    5. 

    … aux organisations fasciales des animaux

    L’évolution de cette multicellularité complexe concerne aussi bien les algues, les champignons et les plantes que les animaux avec des MEC extrêmement diverses mais dont les structures et les fonctions présentent des convergences étonnantes. Les MEC des plantes forment des structures rigides, composées majoritairement de fibres de cellulose semi-cristalline fournissant l’ancrage pour les autres composants, notamment pour des glycanes réticulants, et apportant la « charpente mécanique » alors que d’autres molécules comme les pectines aménagent des espaces matriciels poreux propices aux échanges et enveloppant les autres composants. Les MEC animales, nécessairement dynamiques, construisent des architectures membraneuses plus souples avec des éléments de soutien osseux extrêmement rigides presque minéraux à partir de protéines de structure (collagènes, élastine et fibrilline, laminines, etc.) et des inclusions interstitielles, incompressibles tout en permettant circulation et échanges. Ces espaces liquidiens sont structurés par des molécules aux propriétés uniques de tampon, d’hydratation, de liaison et de résistance à la force, les glycosaminoglycanes (GAG) sulfatés (héparane sulfate ou héparine, chondroïtine sulfate, kératane sulfate et dermatane sulfate) formant des macromolécules de protéoglycanes (PG), liés à une tige protéique spécifique et un GAG non sulfaté, l’acide hyaluronique (AH). Structurellement, toutes ces MEC présentent schématiquement deux typologies spécifiques, qui se mêlent l’une à l’autre, selon qu’elles assurent leur intégrité face aux contraintes physiques environnementales ou constituent un substrat liquidien, reproduisant le milieu marin originel, répondant aux besoins nutritifs ou immunitaire. Les structures fibreuses des plantes et membraneuses des animaux répondent à la première nécessité alors que les pectines ou les protéoglycanes aménagent des espaces d’échanges liquidiens indispensables à la vie cellulaire.

    Eléments matriciels membraneux 15
    Elements matriciels interstitiels 15

    Chez les animaux, avec la complexification des corps, la MEC a évolué pour construire les tissus à partir desquels se forment les organes abritant des cellules spécialisées dans un certain nombre de fonctions précises contrairement aux cellules primitives omnipotentes. Leurs organismes multicellulaires complexes possède ainsi un certain nombre d’organes composant un certain nombre d’appareils assurant une fonction spécifique : respiratoire, circulatoire, urinaire, cutané, hypothalamo-hypophysaire ou digestive. Histologiquement et anatomiquement pour chaque organe, on retrouve les deux types de MEC évoquées précédemment : une MEC interstitielle associée à la fonction de l’organe et répondant aux besoins propres des cellules spécialisées le constituant et une autre structurante lui conférant sa forme et sa connexion à l’ensemble de l’organisme. Cette dernière constitue un lacis continu entremêlant l’ensemble des organes pour les arrimer à l’enveloppe corporelle, spécialisée dans la locomotricité.

    Locomotricité et évolution du système myofascial de l’enveloppe corporelle

    Auparavant assurée par les cils et les flagelles des cellules, les organismes multicellulaires se sont dotés d’appareils neuro-musculaires complexes capables de propulser l’ensemble de leur corps. Phylogénétiquement, le neurobiologiste Daniel Wolpert avance d’ailleurs l’hypothèse que neurones comme cellules musculaires se soient développés afin de répondre à cette nécessité locomotrice. Il en veut pour preuve l’ascidie qui possède un système neuro-musculaire dans la première partie, animale, de sa vie qu’elle digère lorsqu’elle se fixe à un support minéral dans la seconde, végétale. L’évolution de la MEC de l’enveloppe corporelle chez les animaux serait donc intimement liée au développement du système neuro-musculaire. De plus, certains travaux 9, 10 montrent que l’acquisition de capacités locomotrices de plus en plus performantes soit corrélée à une adaptation spécifique de la mécano-sensorialité, impliquant aussi bien le toucher et que la proprioception.

    Chez les vertébrés, l’évolution de la locomotricité est marquée par l’adaptation progressive aux contraintes gravitaires qui semble s’être opérée en trois grandes étapes successives :

    • La reptation : la contraction simultanée des groupes épaxiaux et hypaxiaux, se propage par vague, segment par segment et de manière alternative entre les côtés droit et gauche tout au long de l’axe vertébral en direction cranio-caudale 11. Cette alternance rythmique génère la force de propulsion ondulante caractéristique des vertébrés aquatiques et des poissons en particulier.
    • La traction : générée par les membres des êtres terrestres produisant des mouvements alternés avant arrière et inversement pour progresser tout en rampant sur le ventre. Depuis le Tiktaalik 12, premier tétrapode à posséder une ébauche d’omoplate, c’est le mode de déplacement typique des reptiles.
    • La suspension sur les membres :  elle permet le transport des structures axiales sans qu’elles restent en contact avec le sol, caractérisée par deux types de locomotion suivant la vitesse de déplacement avec des mouvements pendulaires pour la marche (ou le pas) ou des impulsions pour la course (ou le trot et le galop). Mode de déplacement spécifique des mammifères leur permettant de s’affranchir des contraintes gravitaires, elle s’effectue essentiellement par la quadrupédie, la bipédie alternée chez l’homme représentant une exception.

    Il est remarquable que chacune de ces étapes conserve les acquis de la précédente. Ainsi, si les reptiles utilisent la traction alternée de leurs membres, leur axe vertébral continue d’onduler alors que les mammifères conservent dans leur schéma moteur ces deux modes d’action auxquels s’ajoutent leur capacité à se hisser sur leurs pattes dont seule l’extrémité reste en contact au sol. Cette évolution nécessite une aptitude motrice de plus en plus performante mêlant puissance et finesse pour lesquelles la proprioception de l’ensemble du système myofascial de l’enveloppe corporelle et les capacités tactiles des extrémités apportent les informations mécano-sensorielles essentielles au réglage neuro-mécanique 9. Bien évidemment, s’y ajoutent les informations sensorielles visuelles et labyrinthiques des organes céphaliques.

    Organisation myofasciale de l’enveloppe corporelle

    Anatomiquement, comme le décrit la professeur Carla Stecco dans son « Atlas Fonctionnel du système fascial humain », l’enveloppe corporelle humaine présente une organisation spécifique héritée de cette évolution. Elle présente de manière systématique une stratification sous la couche épithéliale du revêtement cutané avec le fascia superficiel qui sépare l’hypoderme, ou subcutis, en deux couches : le tissu adipeux superficiel (TAS), directement sous cutané, et le tissu adipeux profond (TAP), entre le fascia superficiel et le fascia profond. Les TAS et TAP s’avèrent assez similaires, différant principalement par l’orientation des rétinaculums cutanés qui assurent liaison entre le derme et le fascia superficiel et entre ce dernier et le fascia profond. Les espaces délimités par les retinaculums constituent des compartiments remplis de lobules graisseux.

    Source : « Atlas fonctionnel du système fascial humain » de la Pr Carla Stecco

    Coupe schématique de l’enveloppe corporelle présentant la structure de l’hypoderme avec de la superficie à la profondeur la peau, le TAS, le fascia superficiel, le TAP et le fascia profond enveloppant les fibres musculaires.

    Cette stratification s’observe sur toute la surface de la paroi corporelle avec quelques particularités locales en raison du rôle fonctionnel spécifique de certaines régions :

    • La galéa capitis qui enveloppe le crâne où l’espace entre fascia superficiel et profond est très réduit sans présence de graisse
    • La présence de muscles sous cutanés insérés dans le fascia superficiel, très présent chez les animaux (panniculus carnosus), n’est conservé que pour les muscles platysma du cou, le système musculaire aponévrotique superficiel, le sphincter anal externe de la région anale et le muscle dartos du scrotum
    • Quelques lignes d’adhésions où les fasciae superficiel et profond adhèrent séparant l’hypoderme en quadrants
    • Les faces palmaires et plantaires des mains et des pieds formés par la fusion des deux fasciae, le TAP étant totalement absent et le TAS très mince afin d’arrimer très fortement la peau aux fasciae. Comme nous l’avons évoqué précédemment, cette conformation permet à ces zones de contact d’apporter des informations aussi bien tactiles que proprioceptive extrêmement précises pour le réglage locomoteur.
    Lignes d’adhésion fasciales – Source : « Atlas fonctionnel du système fascial humain » de la Pr Carla Stecco

    Si le fascia superficiel est abordé dans l’atlas, c’est principalement le fascia profond qui est au centre des descriptions détaillées de la Pr Stecco. Contrairement aux ouvrages anatomiques classiques le décrivant comme un tissu conjonctif dense irrégulier du fait de l’enchevêtrement apparent des fibres visibles à l’œil nu, elle suggère que le fascia profond est un tissu bien organisé. Grâce à des méthodes de dissection réalisées sur des cadavres frais non embaumés, elle montre que le fascia profond est en réalité constitué de deux ou trois couches membranaires adjacentes suivant les régions (3 pour les zones axiales, 2 pour les membres). Pour chacune des couches, des fibres collagènes bien organisées et denses présentent une orientation unique permettant la mise en action directionnelle précise des fibres musculaires connectées à chaque lame lors de leur contraction.

    La dissection fine du fascia profond laisse clairement apparaitre l’orientation unidirectionnelle des fibres de collagènes de chaque couche – Source : « Atlas fonctionnel du système fascial humain » de la Pr Carla Stecco

    Elle distingue deux types de couches de fasciae profonds qui différent aussi bien structurellement que fonctionnellement :

    • Les fasciae aponévrotiques qui forment nappes fasciales engainant les grands muscles du tronc et se prolongeant vers les membres comme des manchons. Ils relient ainsi l’ensemble des muscles entre eux en formant un continuum directionnel définissant des lignes d’action spécifiques afin de maintenir la posture et de coordonner les mouvements.
    • Les fasciae épimysiaux qui enveloppent les corps de chaque muscle au sein desquels ils se prolongent par le périmysium et l’endomysium qui organisent des poches imbriquées successives. Les myofibrilles sont finalement disposées dans les structures alvéolaires formées par les enceintes endomysiales dont la direction des fibres détermine la ligne d’action des forces qui sont transmises aux périmysiums puis aux épimysiums.
    A gauche 14:
    (A)   Schéma de l’organisation de l’épimysium, du périmysium et de l’endomysium dans le muscle
    (B)   Représentation schématique des zones de jonction entre le périmysium épais et l’endomysium des fibres musculaires dans la couche superficielle du fascicule.
    (C)   Représentation schématique des myofibrilles d’une cellule musculaire individuelle résidant dans le réseau en nid d’abeille de l’endomysium.
    A droite : coupe histologique montrant l’insertion des fibres musculaires dans le réseau fascial (source – « Atlas fonctionnel du système fascial humain » de la Pr Carla Stecco

    Ainsi, l’organisation structurelle de ces fasciae permet de créer de manière locale des organes musculaires produisant des forces par contraction des cellules musculaires qui sont transmises de manière précise aux points d’ancrage des fasciae épimysiaux. Afin que l’ensemble de ces organes soient coordonnés mécaniquement entre eux, les fasciae aponévrotiques véhiculent des informations de réglage nécessaires au maintien postural et à la précision des mouvements 13. Si l’on devait employer une analogie, on pourrait comparer le réseau myofascial à un orchestre où chaque instrument joue sa partition pendant que le chef d’orchestre synchronise chacun d’entre eux afin que la cacophonie devienne une symphonie. Cette description de l’enveloppe corporelle présente la couche fasciale profonde comme une seconde peau dévolue à la locomotricité et la parfaite harmonie des mouvements suppose aussi bien des propriétés rhéologiques viscoélastiques propres à assurer le glissement des éléments fasciaux entre eux que de nombreux capteurs mécanosensoriels fournissant les informations nécessaires à la régulation de la coordination chorégraphique.

    A suivre : De Corporis Fabrica II : L’interstitium au coeur de la santé fasciale

    Bibliographie

    1. Bromberg, Y., Aptekmann, A.A., Mahlich, Y., Cook, L., Senn, S., Miller, M., Nanda, V., Ferreiro, D.U., & Falkowski, P.G. (2022). Quantifying structural relationships of metal-binding sites suggests origins of biological electron transfer. Science Advances, 8.
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    13. Stecco, L., & Stecco, C. (2009). Comprar Fascial Manipulation. Practical Part | Luigi Stecco | 9788829919789 | Piccin.
    14. Robert Schleip, Carla Stecco, Mark Driscoll, Peter Huijing  (2021). Fascia: The Tensional Network of the Human Body. The science and clinical applications in manual and movement therapy. 2nde Edition
    15. Frantz, C., Stewart, K.M., & Weaver, V.M. (2010). The extracellular matrix at a glance. Journal of Cell Science, 123, 4195 – 4200.

    Système fascial et interstitium : des tissus conjonctifs à la Matrice Extra-Cellulaire

    Les intuitions de Bichat

    Comme nous l’avons déjà évoqué (voir l’histoire anatomique des fasciae), la description anatomique des fasciae et du réseau qu’ils tissent au sein de l’organisme est récent. Cependant, dès la fin du XVIIIème siècle, le français Xavier Bichat dans son « Traité des membranes en général et de diverses membranes en particulier » (1799), s’il déplore le manque d’attention accordé aux membranes qui « n’ont point été jusqu’ici un objet de particulier de recherche pour les Anatomistes. » a déjà l’intuition de ce réseau quand il poursuit : « Ce genre d’organes, disséminé pour ainsi dire dans tous les autres, concourant à la structure du plus grand nombre, ayant rarement une existence isolée, n’a jamais été isolément examiné par eux. » Et il insiste plus loin en remarquant que les « organes doivent différer, non-seulement par la manière dont est arrangée, entrecroisée, la fibre qui les forme ; mais encore par la nature de cette fibre elle-même ; qu’il y a entre eux différence de composition, comme de tissu. ». Ses observations à l’œil nu mais encore plus au microscope, font apparaitre l’aspect ubiquitaire de ses structures membraneuses qui s’immiscent partout et se manifestent par des conformations et des propriétés fonctionnelles propres à chaque organe afin de répondre à ses spécificités.

    De l’anatomie à la micro-histologie

    Avec la théorie cellulaire de Schwann et Schleiden en 1848, la cellule devient l’élément central du paradigme biologique moderne. Tout à l’enthousiasme d’avoir trouvé l’unité de base du vivant, les biologistes établissent une classification des tissus, établie avec les microscopes optiques de l’époque définissant les différents types tissulaires selon la nature des cellules participant à leur constitution. Encore actuellement, la plupart des ouvrages décrivent les tissus selon les types de cellules qui les composent en distinguant trois types parenchymateux, épithéliaux, nerveux et musculaires et le quatrième, ubiquitaire bien qu’extrêmement varié, conjonctif. A l’instar des membranes en anatomie, ces derniers ont longtemps été reléguées à un rôle structurel de soutien, « une charpente dans laquelle sont intégrées les cellules » 1. Cependant, peu à peu grâce au progrès conjoints de la biochimie, de la biologie cellulaire puis moléculaire ainsi que des technologies d’imagerie au cours de la deuxième moitié du XXème siècle, les biologistes changent d’échelle et commencent à observer la multiplicité les composants des structures tissulaires. Un micromonde extrêmement complexe commence à leur apparaitre qui modifie radicalement la conception des organes et de leurs tissus constitutifs.

    Tissu conjonctif lâche de l’oesophage
    Coloration Hémalun Phloxine – Grossissement x 400
    Coupe histologique dans la sous-muqueuse de l’oesophage avec un tissu conjonctif très riche en fibres élastiques. On distingue également de nombreux fibroblastes, cellules fusiformes, sécrétant ces fibres ainsi que des capillaires sanguins assurant un rôle de nutrition.

    Tissus conjonctifs et Matrice Extra-Cellulaire

    La conception générique des tissus conjonctifs évolue dès lors vers un nouveau concept 2, la Matrice Extra-Cellulaire (MEC) regroupant les structures conjonctives non-cellulaires dont les différents constituants sont sécrétés par les cellules conjonctives. La distinction simpliste des quatre types tissulaires semble se dissoudre pour faire apparaitre un kaléidoscope extrêmement diversifié où, si la classification cellulaire semble subsister, la notion de tissus conjonctifs laisse place à une MEC polymorphe constituant toute l’architecture enceignant les cellules 3. La meilleure illustration de ce changement de paradigme tissulaire concerne certainement les lames basales sur lesquelles s’ancrent les cellules parenchymateuses. Partie intégrante de ces tissus parenchymateux, elles n’en sont pas moins un constituant matriciel conjonctif. Par ailleurs, depuis la découverte en 1973 de la fibronectine 4 et de son rôle d’adhésion et de modulation des interactions cellules/MEC via les intégrines, il est apparu qu’elles ne peuvent plus être considérées comme seulement un échafaudage passif. En effet, l’attachement des cellules à ce support est nécessaire à leur survie, à leur prolifération, à leur différenciation et à leur motilité et sa régulation est réalisée par un grand nombre de processus qui impliquent l’activation de mécanismes aussi bien matriciel qu’intra-cellulaire. La compréhension des interactions cellules-matrice fait apparaitre que si les cellules réalisent la synthèse des constituants de la MEC, les modifications de cette dernière déclenchent des adaptations cellulaires affectant ainsi leur détermination phénotypique.

    Image de microscopie électronique de la barrière hémato-encéphaliique.
    On distingue la couche de cellules endothéliales,
    séparée des pieds astrocytaires par la lame basale. Les neurones sont également entourés par les
    prolongements astrocytaires.

    Mécanosensibilité et construction des corps

    Jusqu’à la fin du XXème siècle, la biologie cellulaire restait essentiellement centrée sur les interactions électrochimiques cellules/MEC. Cependant, un certain nombre d’avancées technologiques ont permis, ces vingt dernières années, la découverte et l’étude de récepteurs mécanosensibles 5, 6, 7 (intégrines, récepteurs de l’élastine, cadhérines, occludines…) démontrant la très grande variété des messages échangés et permettant d’établir les nouvelles bases de l’homéostasie 3. Leur étude fait maintenant partie intégrante de la compréhension des mécanismes du vivant participant à la constitution et à l’évolution des enceintes corporelles dans un véritable nouveau paradigme mécanobiologique. Il semble bien établi que toute modification, ou altération en cas de dysfonctionnement, des conditions matricielles électrochimiques ou mécaniques déclenchera une adaptation des réponses cellulaires. Inversement, les activités cellulaires auront des conséquences sur l’équilibre et la structure matricielle 8. Une telle conception dynamique de la MEC invite à envisager les corps, propres aux organismes complexes, comme des enceintes que les colonies cellulaires hôtes construisent et modèlent à chaque instant pour s’adapter et se déplacer dans l’espace. Il semble nécessaire qu’une nouvelle classification émerge où les trois types de cellules parenchymateuses conservent leurs singularités mais sans définir de tissus particuliers. En effet, s’il s’avère que toutes les cellules sont mécanosensibles et réagissent aux forces mécaniques qu’elles subissent et/ou qu’elles génèrent, certaines cellules conjonctives, les fibroblastes, jouent une rôle essentiel dans la structuration de la MEC.

    Benn MC, Pot SA, Moeller J, Yamashita T, Fonta CM, Orend G, Kollmannsberger P, Vogel V : « Comment la mécanobiologie orchestre la diaphonie itérative et réciproque des cellules ECM qui stimule la croissance des microtissus ». Science Advances, 29 mars 2023, doi : page externe10.1126/sciadv.add9275

    Véritables cellules constructrices des corps, les fibroblastes 9 jouent un rôle central dans l’édification, la régulation et l’évolution des enceintes corporelles et devraient se trouver au cœur de cette nouvelle conception mécanobiologique. Ces cellules sont de véritables couteaux suisses mécanosensibles réagissant aussi bien aux forces de tractions qu’aux contraintes en compression et en cisaillement. En réponse aux premières, elles produisent des fibres de collagènes ou d’élastine nécessaires aux lames basales ou aux membranes fasciales, alors qu’en fonction des variations de pression tissulaires elles sécrètent des glycosaminoglycanes (GAG) et des protéoglycanes (PG) dont les capacités hydrophiles exceptionnelles confèrent à la MEC interstitielle ses propriétés visco-élastiques. Ainsi, elles réalisent en permanence l’adéquation cellules/MEC 10 nécessaire au maintien de la cohésion des enceintes corporelles, véhiculant ces colonies cellulaires dans le champ gravitaire terrestre. Au sein du microenvironnement, les fibroblastes construisent, résorbent, remanient, transforment les structures de la MEC à chaque instant, bâtisseurs mécanosensibles infatigables qui construisent et remanient sans cesse les tissus, les organes et les corps.

    Illustration schématique de la mécanostimulation qui conduit à la différenciation des myofibroblastes.
    La partie supérieure montre que les cellules endothéliales perdent leurs marqueurs endothéliaux.
    La partie inférieure montre que des facteurs mécaniques, tels que la dégradation ou la production d’ECM qui modifient la rigidité des tissus, peuvent induire la différenciation, par exemple dans les fibroblastes cardiaques 10.

    Implications cliniques en thérapies corporelles

    Cette vision dynamique des organismes complexes fondée en grande partie sur ces nouvelles connaissances de la mécanosensibilité 11 invitent à considérer d’un œil nouveau les approches thérapeutiques du corps. Ainsi que l’expose le Robert Schleip 12, il est nécessaire aux praticiens actuels de maitriser une bonne connaissance de chacun des niveaux d’organisation anatomique, tissulaire, matriciel et intracellulaire. Mais il semble qu’ils doivent surtout d’être capables d’appréhender les implications des mécanismes intervenant à chaque niveau sur les niveaux sus et sous-jacents. Ainsi, l’entrainement chez un sportif fait intervenir l’appareil locomoteur au niveau anatomique, met en jeu le système fascial au niveau tissulaire et les fibroblastes et les cellules musculaires au niveau cellulaire. L’ensemble des mécanismes impliquant ces deux types cellulaires vont, après une période d’inflammation lié à l’altération des microstructures, en réparant ces microlésions, permettre un meilleur conditionnement de la MEC, plus solide et plus adapté aux efforts imprimés au corps. De même, c’est ce type de reconditionnement qui sera recherché après une immobilisation, au cours de la convalescence, afin de retrouver des conditions physiques fonctionnelles. La compréhension de ces processus par le thérapeute est essentielle pour adapter son traitement aux besoins physiques du patient mais également pour lui apprendre à décrypter les signaux de son corps en reconstruction et l’accompagner dans cette (re)découverte proprioceptive.
    A l’inverse, lorsque l’organisme produit des réponses inflammatoires durables, perçues ou non, comme notamment les inflammations de bas grade liés au vieillissement ou aux maladies métaboliques, la MEC subit des changements structurels influant sur sa mécanique. De tels processus modifient la réponse des fibroblastes à l’origine d’une fibrose extracellulaire 13,14 modifiant les propriétés mécaniques des tissus. De manière aigüe, ces altérations pourront être source de douleurs myofasciales diverses (lumbago, lombalgies, cervicalgies…) et si elles se chronicisent de tendinopathies ou d’arthrose, de troubles viscéraux (troubles fonctionnels intestinaux, BPCO et emphysèmes…) participant aux processus de transformations de la MEC propres à l’ensemble des pathologies dégénératives.

    MEC et interstitium

    Au final, la notion de MEC constitue l’appellation modernisée du milieu intérieur chère à Claude Bernard au XIXème siècle, replaçant au centre de la nouvelle mécanobiologie l’interaction cellule/MEC au détriment d’une théorie cellulaire principalement axée sur l’expression génétique. C’est d’ailleurs dans cette dynamique qu’en 2005, Neil Theise 15 a suggéré un changement de paradigme en proposant une approche biologique moderne affirmant que la « théorie de la complexité, qui décrit l’auto-organisation émergente de systèmes adaptatifs complexes, a acquis une place prépondérante dans de nombreuses sciences. Un aspect puissant de l’auto-organisation émergente est que l’échelle importe. » Ses travaux ont abouti ces trois dernières années à des avancées décisives pour la conception du corps avec en 2018 la démonstration de la réalité des espaces interstitiels et de leur continuité au sein des tissus 16 et en 2020 en montrant la dynamique de la circulation interstitielle au sein de ces espaces 17. Il apporte ainsi les premières preuves biologiques définitives confirmant avec une approche scientifique moderne les intuitions des fondateurs de techniques ancestrales telles que l’acuponcture, le yoga ou d’A.T. Still pour l’ostéopathie.

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    L’histoire anatomique des fascias

    Il était une fois…

    Si l’histoire de l’anatomie vous était contée, les fasciae joueraient l’Arlésienne, omniprésents mais jamais étudiés… Et pourtant, sans ces « membranes » il n’existe pas de tissus, pas d’organes, pas de corps !

    Seulement voilà, les anatomistes 1, antiques comme les égyptiens Erasistrate et Hérophile vers 300 av. JC ou le romain Galien au IIème siècle, ou à la renaissance le grand Vésale, auteur du premier livre anatomique 2, pour ne citer que les plus célèbres, ont cherché à montrer les structures anatomiques qu’ils considéraient comme vitales : les os, les muscles, les organes, les vaisseaux … Bien sûr, les auteurs connaissaient l’existence des fasciae et mentionnent la résection de ces enveloppes fines et délicates lors de leur dissection. Mais comme aucune fonction spécifique ne leur avait été attribuée, elles restaient absentes des textes descriptifs ou seulement mentionnées comme tissus d’emballage et de liaison sans relation entre elles.

    Portrait d’André Vésale attribué à Jan Van Calcar

    Le premier à leur accorder une attention particulière est certainement Bichat dans son « Traité des membranes en général et de diverses membranes en particulier » (1799) où il déplore le manque d’attention accordé aux membranes qui « n’ont point été jusqu’ici un objet de particulier de recherche pour les Anatomistes. Ce genre d’organes, disséminé pour ainsi dire dans tous les autres, concourant à la structure du plus grand nombre, ayant rarement une existence isolée, n’a jamais été isolément examiné par eux. » Sa mort prématurée à l’âge de 31 ans d’une fièvre typhoïde ne lui permis pas de poursuivre son œuvre et à sa suite, malgré quelques auteurs (Scarpa, Testud, Velpeau, Sterzi) a s’y être intéressés, ses travaux sur les membranes restèrent sans suite…

    La diversion cellulaire

    Avec les progrès de la microscopie à partir du XVIème siècle, l’histologie pris peu à peu le pas sur les études purement anatomiques. Les observations de Hooke qui publie Micrographia qui montre des cellules de plantes dès 1665 et les descriptions des « animalcules » de Van Leeuwenhoek 3 au début du XVIIIème siècle commencent à révéler une réalité invisible à l’oeil nu fascinante. La théorie cellulaire établie en 1839 par Schwann et Schleiden détourne définitivement l’attention des scientifiques des membranes fasciales au second plan, restant des tissus de liaison et de soutien mais dont la fonction biologique n’apparaît pas essentielle. L’étude des membranes resta en suspens, attendant comme la belle au dormant qu’on la réveille pour la sortir des salles de dissections.

    Les thérapeutes manuels et les fasciae

    Cependant, si les anatomistes boudent les fasciae, les praticiens manuels les touchent, les palpent, les pratiquent depuis toujours. Dès lors qu’ils posent la main sur le corps d’un patient, ils perçoivent une multitude d’informations sur la fluidité, la souplesse, la dynamique ou au contraire les tensions, les raideurs, les restrictions des tissus membraneux sous cutanés qui enveloppent l’organisme. Cette perception pleine de nuances a nourri leur pratique et les a conduit, intuitivement, à construire de multiples théories afin d’en expliquer la nature. Dès la fin du XIXème siècle, c’est A.T. Still, le fondateur de l’ostéopathie, qui accorde pour la première fois un rôle central aux fasciae dans sa pratique et leur confère des propriétés aussi bien mécaniques que biologiques. Plus tard dans les années 80 en France, la fasciathérapie en fait même le support exclusif de sa conception thérapeutique. Bien d’autres pratiques manuelles ou corporelles comme les pratiques de massages les plus diverses, le yoga, la méthode Feldenkrais, même si elles ne nomment pas explicitement les fasciae, les conceptualisent implicitement. Cependant, ces pratiques ne disposant pas de support anatomique, leurs approches restaient empiriques et souffraient pour leur reconnaissance de ne pas pouvoir disposer de preuves expérimentales scientifiques.

    La méthode Stecco et le système fascial

    C’est en Italie, dans les années 80, que Luigi Stecco commence à élaborer une méthode de manipulation manuelle basée sur les fasciae qu’il observe lors de ses premières dissections sur des animaux. Après 30 années de pratique et d’expérimentation, sa persévérance lui permet d’identifier un réseau fascial doté de propriétés essentielles à la locomotricité. Sa passion sera contagieuse et la première à en être imprégnée sera sa fille Carla qui, devenue chirurgienne orthopédiste, continuera le dessein familial. Au début des années 2000, elle réalise à Padoue et à Paris des dizaines de dissections afin de mettre en évidence les preuves anatomiques de ce système pressenti par son père. Mieux, elle va livrer au monde scientifique une description détaillée de ce réseau parcourant toute la surface de notre corps et composé de deux couches superficielles et profondes ayant des rôles spécifiques à chacun. Ces travaux rassemblés dans son Atlas Fonctionnel du Système Fascial Humain publié en 2014 constitue pour la première fois une base anatomique incontournable pour les thérapeutes manuels en particulier et les praticiens corporels en général.

    FR:EIA – Le premier plastinat fascial en 3D au monde

    Le système fascial

    Avec cet ouvrage, les fasciae ne sont plus seulement des enveloppes disséminées et éparses mais deviennent un réseau complexe dont elle décrit l’organisation systématique de l’enveloppe corporelle. La couche sous cutanée se trouve divisée, par le fascia superficiel, en deux zones, les retinaculum superficiels et profonds. Le fascia superficiel et les deux retinaculum constituent des réserves adipeuses et sont parcourus par les vaisseaux artériels et veineux et les nerfs qui explique sa réactivité neurovégétative aussi bien vasculaire que sensorielle. Mécaniquement, la structure des retinaculum superficiels et profonds permettent le glissement libre de la peau sur le fascia profond. Ce dernier est le véritable organe locomoteur de l’organisme, constituant une sorte de seconde peau mécanique, constitué de deux ou trois couches, selon les régions, qui glissent les unes sur les autres, pour permettre à l’appareil locomoteur humain de pouvoir se déplacer de manière incroyablement fluide dans les trois plans de l’espace. Dans ce réseau fascial profond, les muscles ne sont plus que des effecteurs mécaniques, des inclusions de fibres motrices unidirectionnelles dans un réseau fascial sous cutané, extrêmement architecturé de l’épimysium, au périmysium jusqu’à l’endomysium. Au sein de ce réseau, chacune des couches possède une orientation spécifique répondant à des contraintes unidirectionnelles définies par l’orientation des réseau collagéniques qui les composent. Afin de percevoir le positionnement et réguler le mouvement, une multitude de récepteurs, principalement des terminaisons libres, sont disséminés le long de ces axes fasciaux et constituent la partie sensorielle essentielle à la proprioception.

    1. Byl Simon. Controverses antiques autour de la dissection et de la vivisection. In: Revue belge de philologie et d’histoire, tome 75, fasc. 1, 1997. Antiquite – Oudheid. pp. 113-120.
    2. De humani corporis fabrica libri septem (La structure du corps humain) André Vésale paru en 1543
    3. Haidar, R. (2016). Antoni van Leeuwenhoek.